jeudi 20 novembre 2008

TOME 2: Back in the USSR

TOME 2: Back in the USSR
Lettre du 5 novembre 2006


Découvrez Paul McCartney!


Pour mon arrivée à Moscou, Fabienne Perrin (connue par ses colocataires sous le nom de Maman Perrene) est venue me chercher à la gare, afin de me guider dans la jungle urbaine qu’est la capitale mondiale du crime organisé. Elle commence par m’expliquer que depuis qu’elle est arrivée ici, elle a la sensation d’être sous crack en permanence. Je ne vais pas tarder à la comprendre. Nous sommes dans une ville où tout est décalé, où il se passe des trucs étranges à des endroits inattendus ...S’attend-on à croiser en centre ville des meutes de chiens errants, des chevaux dans des souterrains? Je ne m'y attendais pas, et même préparé ça fait tout drôle de se retrouver devant le fait accompli..

Bien que je sois paralysé par la peur, et incapable de mettre un pied devant l’autre après mes 50 heures de car, Fabienne décide de prendre mon courage à deux mains (à une main en fait, dans l’autre elle a pris ma valise), et nous partons corps perdus (le mien du moins) à la recherche de mon école, où l'on ne s’attend pas à ma visite, puisque je n'ai prévenu personne de mon arrivée. Une fois de plus je résiste à l'envie de vous décrire combien longues et infructueuses furent les démarches qui finalement me menèrent ici. Je m’engouffre donc dans le métro à la suite d’une Fabienne déterminée, qui me paye un ticket de métro et refuse de me laisser porter ma valise tout seul puisque selon elle « T’as déjà ton gros sac et t’es assez paumé comme ça ! ». Bien que depuis notre rencontre, mon sport favori est de contrarier Fabienne (et Dieu sait combien j'ai su être imaginatif à ce jeu), je décide à ce moment d’être conciliant, tant il est vrai que je vais avoir besoin d’elle dans les heures à venir. Mon sac n'est pas si gros mais je suis effectivement assez paumé...Le métro est tel que je m’en souvenais : tout en marbre, digne d’un musée (c’est en fait le cas : après la révolution, tous les bâtiments tsaristes ou ostensiblement religieux ont été démolis afin d’avoir des matériaux pour décorer les couloirs souterrains et chanter la grandeur des bolchéviques) pas très bien indiqué et surpeuplé. Nous montons dans une rame de la ligne 5, aussi branlante que la station est somptueuse avec pour destination la station Bieloruskaïa, proche de la gare où je suis arrivé.

Arrivé à ladite station, nous demandons notre chemin à des autochtones qui tant bien que mal nous permettent (surtout, il est vrai, grâce au plan de Fabienne) de trouver la direction à prendre. Mon école se trouve sur la « 5ia iamskovo polia », c'est-à-dire que c’est la troisième rue parallèle à la rue Iamskovo. Si, si, c’est simple, les parallèles sont numérotées 2, 4 et 6 et les perpendiculaires 1, 3 et 5. Après avoir traversé à pied le chemin de fer que nous longions depuis quelques centaines de mètres (il n’y a ni pont ni souterrain) nous trouvons cette 5ia iamskovo polia sur laquelle nous nous embarquons. Comme nous sommes au 2 et que nous cherchons le 24, nous pensâmes naïvement que l’école se trouverait après le 22. Grossière erreur, car après le 12 (ou peut-être le 16) nous trouvons un 24, qui ne ressemble pas à une école. Il nous faut un certain temps pour comprendre que ce 24 est le 24 d’une rue perpendiculaire, et non celui de iamskovo, et que ce bâtiment n’est pas mon école mais bien le « building » du quotidien « la Pravda » qui fut à l’époque soviétique l’organe du parti unique (à l'heure de la démocratie, elle a maintenant beaucoup changé et est devenue l'organe de l'unique parti, le monde et les temps changent). Nous reprenons notre route, et finissons par apercevoir un bâtiment dont la forme circulaire laisse peu de doute sur sa nature. Захадим? Entrons!

C’est là que Fabienne quitte son poste de copine accueillante pour devenir ma traductrice officielle. Le jour ou elle fera ça à l'ONU ce sera sûrement moins marrant... Nous discutons (elle discute) avec le garde dans l’entrée du bâtiment, qui nous accompagne au bureau de Tania, la responsable des élèves étrangers que j’ai eu au téléphone un nombre incalculable de fois avant mon départ, mais que je n’ai pas prévenu de mon arrivée (j’ai essayé de le faire plusieurs fois – sans succès, mais il est vrai qu'il ne s'est passé que très peu de temps entre l'obtention de mon visa et mon départ de l'héxagone). Quand j’entre dans son bureau, en déclinant mon identité, elle me dévisage quelques instants avant de lâcher « Martiene, I’m glad to see you here ! ». Moi aussi je suis content d’être arrivé, surtout que l’école est magnifique. Nous la visitons avec Fabienne qui répète à plusieurs reprises qu’elle est trop jalouse, parce que mon école a « trop la sseucla » comparée à sa fac apparemment en ruines. L’école compte deux immenses salles (en plus des salles de classes, salles de bureau et salles de danse), une rectangulaire et l’autre circulaire, qui n’est autre qu’une salle de spectacle, avec gradins, conçue uniquement pour le cirque. Ça me changera des chapiteaux qui prennent le vent pendant l’hiver ! Je rencontre Igor, qui sera mon professeur de jonglerie, un type plein de bagouzes, gourmettes et boucles d'oreilles en or et un pull Ferrari, et aperçoit un de ses élèves (seize ans, maximum) en train de jongler à huit anneaux avec une facilité déconcertante...ah bon, d'accord.

Après avoir rempli quelques formalités, nous partons vers ma cité U (ici on dit Obchégitié, ou Obchaga pour les intimes) qui se trouve être à une (petite) cinquantaine de mètres de là. C’est une bonne nouvelle, je n’aurai pas à marcher dans le froid pendant des heures tous les matins pour me rendre en cours ! L’hiver, à Moscou, ce genre de trucs compte pas mal ! Si mon école est somptueuse, mon Obchaga, elle, est nettement moins glamour. Très nettement même. Les cités U françaises passeraient pour luxueuses auprès des étudiants Soviétiques. Non, j’exagère, mais... D’aspect extérieur, elle n’est déjà pas reluisante. L’entrée est très russe (peinture qui se décolle, sofa datant de l’invasion Mongole, et derrière sa grille, un gardien, qui me remet les clefs de ma chambre, la 15, au premier) et les couloirs sont dignes d’intérêt. En effet, sur un lino grisâtre sont entassés tout le long du couloir quantité de sommiers, chaises cul-de-jatte, fauteuils enfoncés, gazinières antédiluviennes, bureaux d'écoliers et sacs de plâtre donnant à ces couloirs un coté « sovietico-roots » finalement sympathique. Galina, la surveillante d’étage –une quinquagénaire pétante de santé et aux cheveux lila- me mène à ma chambre.

Les chambres, spacieuses, comportent deux lits. Par chance, je n’ai pour l’instant pas de colocataire, et pour l’instant, on n’attend l’arrivée de personne, j’ai donc des chances de le rester, du moins pour quelques temps. Le plancher (non vernis, traité ou ne serait-ce que fixé au sol) est disjoint et extrêmement poussiéreux. Voir même crade. Les placards n’ont plus trop de portes, mais la table et le bureau sont tout neufs. En fait, le réel problème n’apparaît qu’une fois que je me suis assis sur mon lit. Les lits n’ont pas de sommiers, juste une planche. Sur chaque planche est déroulée une paillasse en guise de matelas. Les paillasses sont assez vieilles pour avoir servi aux soldats du Tsar dans les tranchées en 1917, peut être ont elles même servi de barricades quand Napoléon encerclait la ville et elles sont tellement compactées qu’elles sont devenues dures comme du bois. Je pique donc la paillasse du lit voisin pour entasser les deux sur mon propre lit. Une fois cela fait, ça reste le plus mauvais lit sur lequel j’ai jamais dormi. Ce coup-ci Fabienne est moins jalouse. Si son Obchaga n’est pas digne d’un Hilton, et si son sommier n’est également constitué que d’une planche, elle a par contre un matelas qui lui procure un minimum de confort. Je commence à déballer mes valises quand le regard de Fabienne tombe sur des livres en Français. A priori, elle et ses colocataires sont en pénurie totale de bouquins, et elle me remercie avec enthousiasme pour les deux livres de Buckowski et Kerouac (j’ai oublié Ivresse de la métamorphose de Zweig dans le car) que je lui refile. J’ai beau expliquer que je lui étais de toute façon redevable puisqu’elle avait séché une journée de cours pour m’accueillir et porter ma valise, elle en reste toute bouleversée. « Je n’avais que "Le Diable s’habille en Prada", et Juan m’a piqué "Anna Karénine" ».

Quelques minutes plus tard, nous quittons l’Obchaga, direction la Place Rouge, atteignable depuis mon nouveau chez moi en deux stations de métro. Attention, cela ne signifie pas que je vis à cent mètres de la Place Rouge, les stations de métro sont plutôt éloignées les une des autres, le trajet prend une quarantaine de minutes à pieds. Après quelques photos prises avec le téléphone high tech de ma guide, nous entrons dans le GOUM (ГУМ en cyrillique), le somptueux Centre Commercial Soviétique qui occupe un côté entier de la place. Le Goum contenant surtout des magasins de luxe, la moitié des vitrines sont françaises, et un bon quart italiennes. Le reste est partagé entre Mac Do, KFC (ici ça s'appelle Ростикс) et quelques rares magasins russes. Il est 16 h et aucun de nous n’a mangé, nous nous arrêtons donc au KFC ou pour une somme modique, nous engloutissons un sacré nombre de calories. On se sent mieux après. Fabienne profite de notre repas pour m’offrir un cadeau de bienvenue : son vieux portable français, avec à l’intérieur une carte Sim russe toute neuve avec du forfait dessus ! Comme les SMS vers la France coûtent uniquement 2 roubles (il faut 34 roubles pour faire un euro), j’aurai au moins un moyen de communication avec la France, puisqu’il est impossible d’avoir Internet à mon Obchaga...

Nous ressortons du Goum afin de continuer notre visite touristique quand la pluie et la flemme s’abattent soudainement sur nous comme la vérole sur le bas clergé. Nous nous enfournons dans le métro le plus proche, et après quelques stations, et quelques changements dans d’immenses couloirs, nous parvenons à V.D.N.KH. (В.Д.Н.Х,se prononce veudeunnekheu) où un bus nous emmène en bas de chez Fabienne. L’Obchaga de Fabienne ne manque pas de charme, comme un peu partout ici, la vie s’est arrêtée dans les années soixante (cinquante ?), et il me faut remplir des autorisations auprès de la garde, et montrer passeport et visa pour avoir l’autorisation de monter. L'heure de mon arrivée sera consignée, avec le numéro de chambre de Fab dans un énorme grimoire gris et marron. Ceux qui pensent que la France est un pays de paperasseries n’ont qu’à venir faire un stage au pays des Soviets, ils complexifient tout d’une manière magistrale.

La chambre de Fabienne est plus spacieuse que la mienne, et elle a du lino, et un vrai matelas ! J’en reste bouche bée. Je n’aurai pas la chance cet après-midi de rencontrer Fanny, la camarade de chambre de Fabienne, mais je rencontre Juan, un autre camarade de classe de Fab à Lyon III ainsi qu’ici. Il est Mexicain mais il étudie ici le Russe et l’Anglais avec un statut d’Erasmus Français. C’est un rien compliqué... Passons. Nous buvons du thé tandis que mes hôtes me montrent des photos des endroits de Moscou qu’ils préfèrent. Ils m’expliquent aussi qu’il a neigé quelques jours plus tôt, et que si la température est de nouveau positive (douze ou treize degrés) ça ne devrait pas durer. En échange des deux bouquins que je lui ai prêtés, Fabienne me prête l’incontournable « Le Diable s’habille en Prada », que j’ai d’ailleurs dévoré et (Jésus, Marie, Joseph, est-ce possible ?) adoré. Vers 8 h, je me décide à rentrer chez moi, mais Fabienne, dans une énième crise de mère-poulisme a peur que je me perde à tout jamais dans la nuit froide de [l’oubli] de Moscou. Elle me raccompagne jusqu’à V.D.N.KH, puis m’ayant donné un plan du métro ainsi qu’un autre de mon quartier, elle me laisse prendre le métro en me faisant jurer de la prévenir dès que je serai rentré. Je dois avouer que je suis très touché de toutes les précautions qu’elle a prises depuis le matin pour me permettre un atterrissage en douceur. Après trois métros et quinze minutes de marche, je rentre chez moi. Il doit être 21 h mais je suis claqué. Je profite un peu de mon nouveau portable russe pour fusiller mon forfait en une seule fois en appelant Charline, pour lui dire des mots doux et la rassurer sur mon sort. Oui, je suis en vie. Quelques SMS et coups de fil plus loin, je m’endors comme une masse sur mon misérable matelas (je pense alerter l’ONU à ce sujet, il y a sûrement quelque part un texte qui interdit ce genre de choses, la convention de Genève ou le traité d'Oslo, un truc du genre quoi), puis me réveille régulièrement dans la nuit. Ah ben merde, ça-y est, j’y suis...

Aucun commentaire: