mardi 23 décembre 2008

TOME 6 : Tintin et les Clochards Célestes

TOME 6 : Tintin et les Clochards Célestes
lettre du 19 novembre 2006


Découvrez Django Reinhardt!


J'ai récidivé, la concordance des temps ne sera pas respectée dans cette lettre.
Je demande l'absolution auprès de l'Académie Française.
Saint V.G.E, priez pour nous.
Attention, le dernier paragraphe comporte une envolée lyrique, et si tu ne sais pas ce qu'est un clochard céleste, demande à Kerouac.


J'ai rencontré Jimmy et Trinn un dimanche soir dans un bar souterrain de Kitaï-Gorod, le même dont j'ai déjà parlé dans un épisode précédent. Après un après-midi passé à bavarder, traînailler et boire du thé dans la chambre de Fabienne et Fanny, j'avais retrouvé Lisa et Paula sur la ligne circulaire (l'ai-je déjà dit ? il y a à Moscou une ligne de métro circulaire qui relie toutes les autres lignes entre elles) et nous avions pris la direction du quartier chinois pour nous repaître de kebabs au poulet, de bière et de bonne musique. Nous nous sommes bien sûr perdus dans ce quartier en pente, où les rues sont aussi peu éclairées que les pensées d'un électeur moyen du Front National. Nous étions pourtant tous déjà venu, mais Ogui est un bar vraiment bien caché. Durant la demi-heure que nous avons passée à chercher la bonne rue, Lisa m'a expliqué qu'un ami anglais qu'elle avait rencontré en Finlande était arrivé à Moscou dans la journée et qu'il passerait sûrement dans la soirée. Il semblerait que tous les jeunes étrangers qui ont passé quelque temps à Moscou et qui ont goûté à la vrai vie moscovite connaissent l'Ogui, et Jimmy y avait déjà fait un concert quelques années plus tôt. Il connaissait le chemin lui... Nous avons fini par le trouver également.

Quand nous sommes arrivés dans le bar, un groupe de Rockeurs Allemands quadragénaires faisait danser le public sur un mélange de vieux Rock des sixties et de gros Punk-Rock bien bruyants. Après quelques chansons (nous sommes arrivés vers la fin du concert), ils ont terminé leur prestation sur une version punk de "Ça plane pour moi", pendant qu'un jeune Russe bourré essayait de parler français pour me dire à quel point il trouvait les Françaises plus jolies que les Russes. C'est marrant, quand j'ai quitté la France, tous les français me parlaient des petites russes comme des plus belles... Passons. Jimmy et Trinn sont arrivés juste après le concert. Jimmy, un grand Londonien, possédait une barbe brune extrêmement fournie et rasée au menton, et je lui ai tout de suite trouvé une forte ressemblance avec Wolverine, le X-Men aux grandes griffes. Il m'expliqua en fait qu'il venait de se raser pour ressembler à Pouchkine... J'ai comparé plus tard son visage et celui de l'écrivain Russe, et la ressemblance est effectivement frappante. Chacun ses références, non ? Après avoir traversé l'Europe en plusieurs mois (avec une escale en Suède où il avait rencontré Lisa) il avait atterri en Estonie, et emporté Trinn dans ses bagages, l'arrachant aux mains d'un petit ami parait-il peu recommandable.

Le bar Ogui est divisé en plusieurs pièces : l'antichambre, le vestiaire, la librairie, le couloir aux fauteuils, ainsi que deux grandes salles où sont servies les commandes. La plus grande des deux salles accueille les concerts sur une petite scène, et les consommations y sont servies au bar pendant les concerts. C'est la plus animée des deux salles. L'autre est plus confortable, on y passe de la musique en fond sonore, il y a une immense bibliothèque débordant de bouquins, et les consommations sont portées aux tables par des serveurs parfois quelque peu francophones. Nous nous sommes installés ensemble dans cette salle (Lisa, Paula, Trinn, Jimmy et moi-même), et après quelques secondes de présentations et d'ébauches de conversations, Jimmy et Trinn ont sorti leurs instruments (une guitare pour Trinn, une clarinette pour Jimmy) avec la ferme intention de jouer immédiatement. La barmaid n'était pas réellement d'accord, mais un client (qui avait payé à sa tablée un certain nombre de tournées) finit par lui faire entendre raison: "Laissez les jouer au moins un morceau, si ça ne plaît a personne, ils rangeront leurs binious !". Let's begin with a french song : "Nuages". Et là ça commence à swinguer sévèrement. À la fin du morceau, la barmaid n'avait pas vraiment le choix : ces deux là vont jouer une bonne partie de la soirée. Ils ont enchaîné à partir de ce moment une dizaine de standards de jazz, la plupart de Django Reinhardt, tandis que l'assistance tapait le rythme avec tout et n'importe quoi, tout en remplissant le chapeau des musiciens de liasses de billets (ce n'est pas une façon de parler, ici on joue au Monopoly tous les jours, car les billets qui ont le moins de valeur valent dix roubles, soit moins de trente centimes d'euro, et on se retrouve en permanence avec le portefeuille plein à ras bord de papier monnaie). Au bout de quelques temps, la barmaid mit le ho-là, rebrancha la chaîne hi-fi et demanda à nos musiciens de bien vouloir se rasseoir. Mais à l'Ogui, on préfère la musique live, et le client qui avait convaincu la trouble fête repartit à l'assaut, soudoyant les serveurs jusqu'à ce que les musiciens reprennent là où ils s'étaient arrêtés. Et la fête reprit de plus belle, jusqu'à ce que les musiciens se retrouvent à court de nouveaux morceaux.

Jimmy et Trinn ont alors commencé à nous raconter leur périple. Jimmy était parti de je ne sais où avec une troupe de comédiens et musiciens, qui arpentait l'Europe sur de drôles de bicyclettes fabriqués à partir de cadavres de plusieurs vélos, engins à deux ou trois roues, à plusieurs selles ou à deux étages, et qui jouait dans les rues pour gagner de quoi continuer leur voyage. En Estonie, il avait rencontré une bande de musiciens -dans laquelle jouait Trinn- et les avait rejoint pour quelques temps. Puis une chose en entraînant une autre, il avait dérobé Trinn à son petit ami de l'époque. Ils avaient rencontré là-bas quelques autres musiciens, dont quelques uns de passage en Europe vivaient le reste du temps à Pékin, où ils exerçaient la profession de musiciens de rue. Ces Pékinois leurs avaient lancé une invitation : "Pourquoi ne pas venir avec nous à Pékin quelques mois ?", à laquelle Jimmy et Trinn avaient bien sûr répondu par l'affirmative. Normal, quoi...

Et les voici à Moscou, en chemin vers la Chine, de passage pour quelques jours, le temps de voir quelques amis et d'acheter une place dans le Transmongolien, ce train qui relie Moscou à Pékin en quelques jours. Le voyage était financé par tous les chapeaux qu'ils avaient remplis en jouant dans les rues, les bars, les trains, les couloirs et les rames de métro. La fête battit son plein jusqu'au milieu de la nuit, les conversations furent interrompues par un Russe saoul comme un Polonais qui avait perdu son saxophone dans la journée, et par un keupon teuton, le chanteur du groupe qui avait joué avant Jimmy et Trinn, tous deux ayant bien aimé jouer avec nos célestes visiteurs. Vers quatre heures du matin, les filles passèrent dans l'autre salle pour se trémousser sur de la Pop russe tandis que Jimmy et moi restions assis face à une énième pinte. Pas tant de choses à se dire, mais une intimité était déjà installée. J'invite Jimmy à rester dormir avec Trinn chez moi (j'ai un lit en rab) plutôt que de dormir par terre dans la piaule de Lisa. Nous sommes partis peu de temps après, tendant le bras pour arrêter une voiture (trois voitures se sont arrêtées instantanément et nous avons choisi le chauffeur le moins cher : 200 roubles pour mener cinq personnes de l'autre coté de la ville, voilà qui est bon marché. En arrivant à l'Obchaga, il faut sonner, car il y a théoriquement un couvre-feu à minuit, dont les gardes se soucient comme de leurs premières chemisovs. Petit battement : le garde laissera-t-il entrer ces étrangers dans l'Obchaga, au milieu de la nuit ? Ah, oui. Très bien. Nous trouvâmes des draps pour nos invités, et après un dernier thé, tout le monde s'écroula du sommeil du juste qui a avalé quelques bières.

Le lendemain matin, vers 13 h, nous sommes partis Jimmy, Trinn, Lisa et moi à la découverte de Moscou, après une visite éclair de Fabienne et Fanny - qui étaient rentrées dans l'Obchaga comme dans un moulin -. Nous nous sommes promenés des heures dans la ville, que Trinn ne connaissait pas, le tout par un froid de cinq degrés (ici, quand on dit "un froid de cinq degrés", cela signifie bien sûr moins cinq, et l'hiver quand on dit "quinze degrés" il y a un "moins" sous entendu) et les pieds dans la neige. Après avoir vu tout le centre, deux églises orthodoxes, où l'odeur d'encens et de cire est si forte, et les icônes si belles qu'on ne peut que se sentir apaisé, nous avons par le plus grand des hasard rencontré Paula, que nous n'avions pas trouvée à l'Obchaga. Vers six heures du soir, ils sont partis vers la campagne moscovite où un ami les attendait, tandis que nous avons regagné nos pénates, nous reposant un peu pour la semaine qui commençait. (Pour ceux qui ont bien suivi, nous sommes donc partis nous balader un lundi, mais il se trouve qu'ici aussi on a des jours fériés).

Je les ai croisés quelques jours plus tard dans une rame de métro, où ils jouaient pour payer leur billet de train. À leur manière ils ont mis une certaine ambiance dans ce métro aussi terne que le métro moyen. On s'est dit au revoir, à bientôt, bonne chance ! Ils sont en ce moment entre Europe et Asie dans le Transmongolien, partis pour Dieu sait combien de temps, histoire de jouer du jazz dans les rues de Pékin avec d'autres clochards célestes rencontrés en chemin.

TOME 5 : L'auberge bolchevique

TOME 5 : L'auberge bolchevique
Lettre du 12 novembre 2006 également

Peut-être est-ce une poussée de communautarisme, peut-être est-ce un instinct de survie, ou peut-être est-ce le choix de la facilité, toujours est-il qu'à quelques minces exceptions près, tous les gens avec qui je me suis lié d'amitié à Moscou ne sont pas d'ici. À l'Obchaga, les gens que je commence à réellement connaître sont Alex (un Espagnol), Anastasia (une Grecque), Lisa (une Italienne) et Paula (qui, comme son nom méridional l'indique, est Hollandaise), autant dire la totalité des étudiants étrangers de l'école de cirque. Si je fais partie des vétérans parmi les élèves de l'école (les élèves finissent la formation autour de 18 ans), je suis le plus jeune des expatriés, puisque Alex et Anastasia ont 22 ans, Lisa 24 et Paula 31. Malgré toutes les différences qu'il y a entre nous, nous avons un point commun non négligeable en ces terres étrangères : l'anglais, que peu (ou prou) de Russes maîtrisent suffisamment pour soutenir une conversation de plus de quelques secondes. Hors de l'Obchaga je connais donc Fabienne, Caluirarde mais instruite dans des établissements scolaires Croix-Roussiens, Fanny sa colocataire, Haute Savoyarde mais francophone, et Juan son voisin, étudiant mexicain mais élève de Lyon III depuis quelques années.

Si chez eux on parle français, il en va différemment dans mon Obchegitié : bien que nous parlions tous anglais, chacun utilise dès qu'il peut la langue qui lui est la plus familière. Alex et Anastasia parlent en espagnol entre eux, ainsi qu'avec Paula qui a vécu à Grenade. Avec Lisa et moi, ils parlent anglais. Paula et moi parlons en français puisque le père de Paula enseigne la langue de Molière et des 2be3 dans les lycées hollandais, et qu'il lui en a appris les rudiments. Lisa et Paula parlent anglais, et je parle également en anglais avec ladite Lisa, bien que je me permette de temps en temps de lui parler français, langue qu'elle comprend mieux qu'elle ne la parle. Ajoutons à cela que Lisa possède quelques rudiments d'espagnol, Alex quelques bases de grec, que je connais un certain nombre de jurons en espagnol et que nous apprenons tous le russe, il en découle une confusion des langages qui nous emmène à rarement terminer une phrase dans la langue où on l'a commencée. Autant vous dire que c'est un sacré bordel, et qu'il arrive fréquemment qu'on s'adresse aux autres dans une langue qui leur est totalement inconnue. J'ai éssayé rien que pour voir de parler grec ancien avec Anastasia en réveillant de vieux souvenirs du lycée et croyez le ou non, elle m'a bien rit au nez. A priori, pour elle c'est comme si un serbo-croate venait me voir pour me parler latin...

Ajoutons à cela que les Russes ne sont pas très évidents à aborder: outre la barrière de la langue, les relations entre Russes sont très formelles, et cela ne se fait pas d'engager la conversation avec quelqu'un à qui on n'a pas été réellement présenté. Après cela, les choses sont plus évidentes mais ce premier pas n'est pas toujours évident à franchir, et peu d'autochtones font l'effort d'accueillir spontanément les nouveaux venus. À une exception près en fait... Les douches. Les douches de l'Obchaga étant communes (pas communes comme en Cité U, plutôt comme des douches de stade, huit pommes de douches pendues au plafond dans une pièce de 15m2 et mixtes, ce qui entraîne certaines difficultés du point de vue logistique), le coté formel et officiel des présentations disparaît une fois qu'on se retrouve tous nus comme des vers. Ainsi la quasi totalité des Russes que je connais sont des gens à qui j'ai serré la main pour la première fois lorsque j'étais couvert de savon. Je salue également quelques Russes vivant à l'Obchégitié de Fabienne, mais je les ai rencontrés lors d'une soirée fortement alcoolisée où les barrières protocolaires (ainsi que linguistiques...) avaient disparues pour quelques heures. Je connais peu de filles, tout d'abord parce qu'il est évidemment impossible de rencontrer sous la douche des personnes du sexe opposé, et ensuite parce que le concept d'amitié entre hommes et femmes fait partie de ces choses qui n'existent pas en Russie, ce qui fait que depuis deux mois tous les voisins de Fabienne se demandent si Juan sort avec elle ou avec Fanny (voir avec les deux ?) uniquement parce que ceux-ci passent beaucoup de temps ensemble. Je ne connais en fait qu'une seule représentante de la gent féminine moscovite : Nastia, la colocataire de Lisa, à qui j'ai bien sûr été officiellement présenté. Comme ici on ne se fait pas la bise, nous nous sommes cordialement serré la main après lesdites présentations.

Autant dire que la bande des Européens s'est crée d'elle-même et en bien peu de temps. La cuisine est très vite devenue notre lieu de réunion, mais comme il est impossible de manger dans cette pièce, les repas se passent généralement dans ma chambre, puisque je suis le seul à posséder une chambre rien que pour moi, ainsi qu'un grand fauteuil, antédiluvien mais confortable, et que le détecteur de fumée étant en panne, on peut y fumer sans craindre une alerte générale. De plus, à part Lisa qui est arrivée il y a plusieurs mois, nous sommes tous arrivés dans la même semaine, aussi nous découvrons en même temps les moeurs locales. Nous sommes tous autant perdus dès que nous sortons du quartier de l'école, nous découvrons ensemble tout un tas de choses plus ou moins agréables : la gastronomie locale, les taxis clandestins (comme les loyers sont ici les plus chers du monde et que le SMIC tourne autour des 120 €, tous les gens qui ont une voiture sont des taxis potentiels, et il suffit de tendre la main pour que plusieurs voitures s'arrêtent dans les trois secondes qui suivent), les bars souterrains, les casinos présents à chaque coin de rue (il y en a un tout près de chez moi qui est entièrement en or, avec Roi, Dame et Valet en guise de gargouilles et un éléphant grandeur plus que nature -et doré également- gardant le parking) le kitch n'a jamais de limite), les paillasses en guise de matelas, les supermarchés-commandos (voir tome 4), les limousines 4x4, les Trabans datant de Mathusalem, la neige qui tombe depuis octobre, les meutes de chiens qui vivent dans les rues (ils sont plus de trente mille à errer dans la ville, à ce qu'on dit, enfin, d'après les autorités en fait), les cigarettes à 25 centimes le paquet, les policiers honnêtes (il y en a, nous avons été arrêtés sur la Place Rouge avec Paula qui n'avait pas ses papiers, et ils n'ont même pas tenté de nous extorquer nos économies comme c'est normalement la coutume), l'existence de la tuberculose et l'absence de code de la route. Beaucoup de choses d'un coup, en effet...

En créant ce petit cocon d'Européens perdus, nous ne facilitons peut-être pas notre intégration dans la société locale, mais il est tellement plus aisé de fréquenter des gens qui ont les mêmes repères que nous, qui sont étonnés par les mêmes choses... Nous nous serrons les coudes, car atterrir ici n'est pas évident, tout est si différent et malgré une forte tendance à l'occidentalisation des moeurs, nous sommes tout de même loin de l'Europe que nous connaissons. C'est plus facile de sortir à la découverte du vaste monde quand on est pas tout seul !

mardi 25 novembre 2008

TOME 4 : L'enfer des supermarchés / La vie est un combat

TOME 4 : L'enfer des supermarchés /
La vie est un combat

lettre du 12 novembre 2006

Le premier samedi que je passai à Moscou fut passablement bien rempli. Fabienne avait proposé une excursion à IKEA et AUCHAN, et mes voisins Alex et Anastasia avaient accepté de venir avec nous. Fabienne reprit à merveille (parfois de manière trop zélée, vous le découvrirez par la suite) son rôle de guide touristique. Les événements de cette journée furent trop nombreux, rapides et violents pour que l'on emploie le passé simple. Retrouvons donc notre bon vieux présent de l'indicatif.

Il est 14 h. Anastasia, Alex et moi même quittons l'Obchaga pour nous rendre au métro Dynamo, à dix minutes de chez nous, pour y rejoindre Fabienne sur les quais de la ligne 2, sans savoir à quel point cette petite sortie au Centre Commercial aurait nécessité un entraînement physique et moral de plusieurs semaines. Premières douleurs lors de l'entrée dans les couloirs du métro : les portiques moscovites ont une singularité qui est de se fermer brutalement quand un fraudeur essaye de passer au lieu de s'ouvrir quand un usager présente son ticket. Ces portiques, comme tous les portiques de métro (et comme d'ailleurs comme la majorité des objets de la vie courante) ont été fait pour des droitiers. Ce que je ne suis pas. En mettant innocemment mon ticket dans la borne se trouvant à ma gauche, j'ignore alors le courroux qui ne va pas tarder à s'abattre sur ma faible personne. En effet à la sortie du portique, deux portes métalliques apparaissent et se ferment brutalement sur moi. Pas devant moi, sur moi. Je reçois le coup dans la cuisse droite, une violente "béquille" dans mon quadriceps déjà affreusement endolori par les courbatures. Le temps de comprendre ce qui se passe, des gens sont déjà passés par le portique que j'avais ouvert avec mon billet. Me voilà contraint à sauter par dessus ledit portique, en espérant que celui-ci ne me fauchera pas un pied avant l'atterrissage, ou qu'une de ces contrôleuse sexagénaire ne m'abatte par surprise. Je m'en sors finalement bien, et descends les vertigineux escaliers mécaniques (le métro Moscovite est un des plus profonds du monde) afin de rejoindre le quai où nous attend Fabienne. Ici nous prenons le métro jusqu'à son terminus à Rietchnoï Vokzal, où nous aurons une "surprise". Je me méfie de ce genre de surprises que nous réservent les Moscovites...

En effet la surprise est de taille : nous devons prendre un bus gratuit, le seul à se rendre au centre commercial où se trouvent AUCHAN et IKEA. Le problème est que des milliers de gens se rendent chaque samedi vers ce centre commercial en profitant de ce transport à l'oeil, il faut donc se battre pour monter dans l'engin. Nous voyons passer un premier de ces bus, et effectivement les gens se battent littéralement pour accéder au bus, qui une fois plein peut à peine fermer ses portes tellement les gens y sont entassés. A l'arrivée du bus suivant, nous tentons de jouer des coudes afin d'être les premiers à pénétrer dans le bus. Peine perdue, tout le monde nous gruge. Après une réelle foire d'empoigne, nous parvenons in extremis à monter dans ledit bus, serrés les uns contre les autres comme des sardines sous vide, et c'est parti pour vingt bonnes minutes de trajet debout sur un pied, avec un coude planté dans le dos et une babouchka debout bien droite sur mes orteils asphyxiés.

Une fois arrivés nous étirons nos dos endoloris quand Fabienne nous avoue qu'il y avait d'autres moyens de se rendre sur place, mais que celui-ci étant le plus authentiquement russe, nous devions l'emprunter pour nous faire à la vie locale. Merci Fabienne, c'est adorable. J'attendrai d'être de retour sain et sauf à la maison pour t'arracher les yeux. Avant de nous rendre à IKEA nous avons quelques courses à faire à AUCHAN, qui se trouve en face de nous. En pénétrant la galerie marchande entourant AUCHAN, nous nous rendons peu à peu compte de la taille incroyable du magasin. Effectivement, si les hypermarchés peuvent être grands en France, à Moscou ils sont démesurés. Comme ils ont pris du retard durant l'Ère Soviétique, les Russes tentent de se rattraper en faisant tout en plus grand : bien plus de publicité, plus de magasins, plus de luxe, le tout sans réel sens de la mesure (les sens de la mesure et du bon goût sont des notions assez troubles ici-bas...), tout est donc "trop". Les rayons sont hauts comme des murs de cathédrale, et le magasin fait à peu de choses près la même superficie que la ville de Clermont-Ferrand, banlieue comprise. Pour ne pas se perdre, on se donne des rendez-vous réguliers dans le magasin, puisque chacun a des achats différents à faire. Nous nous rendons vite compte qu'il ne sera pas nécessaire de se rendre à IKEA, on peut trouver de tout ici, du mobilier aux mets les plus fins en passant par les pneus cloutés, les pièces de moteur, les tentes trois-places et les parfums de luxe. Après d'interminables pérégrinations, nous nous retrouvons aux caisses, avec chacun un chargement non négligeable de matelas pneumatiques, étagères en kit, bassines, vaisselle, "Nutella" et autres couettes deux-places.

Parmi les notions inexistantes en Russie, outre la mesure et le bon goût, on peut compter le principe de queue : aux caisses les gens s'entassent n'importe comment, dans n'importe quel sens, et dès qu'ils ont une occasion, ils se jettent vers les caisses, comme la misère sur le pauvre monde. Grâce à Fabienne qui a acquis suffisamment de vocabulaire pour engueuler les gens en russe et tenir tête aux pires mégères (je lui avait offert un dictionnaire franco-russe des gros mots et insultes avant son départ de France, je vois qu'elle n'a pas chômé) nous parvenons aux caisses après une attente incroyable, sans avoir oublié de retirer des gros billets dans les BANKOMAT du magasin, puisque les caisses n'acceptent pas les cartes de crédit.

En sortant du magasin, nous sommes épuisés, et nous nous dirigeons donc vers la partie de la galerie marchande où se trouvent les fast-food, afin de nous repaître de protéines indispensables après ces quelques moments physiquement intenses. Près du Mac Do et du KFC, nous trouvons un fast-food russe sur lequel nous nous précipitons : qu'il est doux de pouvoir se gaver de hamburgers sans sponsoriser une multinationale américaine. Les multinationales russes ne sont sûrement pas plus cautionnables mais des principes sont des principes ! Après des commandes en russe et de longues recherches, nous trouvons une table de libre, près de la patinoire noire de monde qui se trouve au centre de la galerie. En chemin, Fabienne répand malheureusement une partie de son repas sur le carrelage et devra se contenter d'un petit hamburger. Anastasia ne mange rien, mais Alex et moi nous réjouissons à l'idée d'ingurgiter les plus gros hamburgers vendus dans le magasin. Notre bonheur est de courte durée, car ces soi-disant hamburgers géants (qui valaient peu ou prou 1 € 50) ne sont pas aussi somptueux que sur les photos, et nous devons en reprendre une deuxième tournée pour nous sentir rassasiés. Les russes étaient les maîtres incontestés de la propagande, ils sont maintenant les rois de la publicité mensongère... Comment avons nous pu être si crédules? Malgré tout quel plaisir d'avoir enfin le ventre plein!

Nous décidons tout de même rapidement de sortir du magasin, et de tenter de rentrer à Moscou. Nous tentons le bus gratuit, mais malgré nos tentatives désespérées d'y pénétrer, nous échouons. Il faut dire que nous sommes correctement chargés... Affrontant le froid qui tombe à la tombée de la nuit (malgré le passage du mercure en dessous de zéro, les Russes se baladent toujours en dos nus et mini jupe, mais la mode ne mérite-t'elle pas quelques sacrifices?), nous prenons nos sacs et nos bagages à deux mains, et nous dirigeons sans trop savoir vers les parkings du Centre, où des minibus font navette jusqu'au centre ville. Rien n'est indiqué, mais un aimable gardien de parking nous indique le bus à prendre. En chemin vers l'arrêt de bus, nous rencontrons un quinquagénaire Irlandais fraîchement débarqué de Londres, qui ne parle ni ne lit le russe, et qui va dans la même direction que nous. Il est extrêmement impressionné par la situation, tout ce désordre, tous ces gens qui se battent pour monter dans les bus, et il parait content de nous trouver. Nous patientons près de vingt minutes avant que notre minibus arrive. Nous nous dirigeons vers celui ci quand un petit groupe de Russes nous double en jouant des coudes, et s'installe dans le minibus. Nous arrivons finalement à pénétrer l'engin (un genre de Ford Escort à dix-huit places), même si Anastasia n'a pas vraiment de place assise. Inconfortablement installés dans le minibus, mais fiers d'y être arrivés, nous discutons avec l'Irlandais, qui a été envoyé ici trois jours plus tôt par un musée londonien qui supervise l'ouverture d'un musée dans la ville de Moscou. L'homme a déjà vécu dans pas mal de pays différents, dont le Japon, et nous tentons de savoir si oui ou non ces minibus sont dignes des Taptap qui traversent l'Afrique depuis cinquante ans. Nous finissons par nous dire que cet après-midi nous aura donné des histoires à raconter, jusqu'à ce l'Irlandais (j'aurais du lui demander son prénom) fasse la remarque évidente que personne ne nous croira jamais. Il a peut être raison..."ET TU CHANTES, CHANTES, CHANTES, CE REFRAIN QUI TE PLAÎT, ET TU TAPES, TAPES TAPES, C'EST TA FAÇON D'AIMER CE RYTHME QUI T'ENTRAÎNE JUSQU'AU BOUT DE LA NUIT...", ils passent vraiment n'importe quoi à la radio russe, et l'autoradio hurle cette scie des années 80 qui nous redonne du courage ! Nous sommes fourbus, mais un vieux tube sorti du plus profond des âges peut parfois suffire à remettre d'aplomb. Nous finissons par nous rendre compte qu'il est déjà presque huit heures du soir ! Combien de temps avons nous passé ici ? Fabienne explique qu'il y a à Moscou une faille temporelle et qu'il arrive très fréquemment que des heures entières s'écoulent sans qu'on les voie passer.

Quand nous arrivons au métro, l'Irlandais nous quitte en nous bénissant plusieurs fois. De notre côté, nous nous maudissons d'avoir choisi un samedi pour venir ici, et d'avoir donc perdu une journée de repos. Nous montons dans le métro, trop fatigués pour continuer à discuter. A Dynamo nous laissons Fabienne (après bien sur l'avoir remerciée de nous avoir guidé pendant plusieurs heures) et rentrons chez nous. En arrivant, je déballe mon matelas pneumatique et mon gonfleur vendu avec ledit matelas. Les Russes ont un sens de l'humour bien précis, et ils font souvent des blagues comme ça : le gonfleur n'est pas du tout adapté à la valve du matelas ! Je parviens à le gonfler à moitié, puis finis le travail à la bouche. A la fin, j'ai la tête qui tourne, mais j'aurai un matelas si confortable ! Après avoir mangé une demie banane qui traînait, je m'allonge sur mon matelas, me préparant à passer la meilleure nuit depuis mon arrivée. Qu'il est doux d'avoir un vrai lit !

Épilogue : Après une nuit merveilleuse je me suis réveillé sur un matelas à plat. À l'heure actuelle, je n'ai toujours pas trouvé l'affreux trou qui gâche mon sommeil.

TOME 3 : Premiers pas

TOME 3 : Premiers pas
Lettre du 5 novembre 2006

Une fois passé le cap de la première journée, entièrement assisté par un comité d’accueil franchement maternel et de la première nuit passée à se dire qu’on a fait une grosse connerie en venant ici (idée qui disparut rapidement, le rythme moscovite ne laissant pas trop le loisir de se poser des questions), il arrive le moment où on doit commencer à se débrouiller un tant soit peu dans le rocambolesque quotidien russe qui m’attend de pied ferme. De bon matin (aux alentours de 9 h) je me dirige d’un pas ferme, résolu à me lancer vers l’aventure de l’inscription administrative. Le fait que Tania (susnommée dans le tome 2) balbutie un léger anglais me facilitant grandement la tâche, je parviens en quelques heures à mes fins. Je commence dès cet après-midi, par deux heures de jonglage et une heure d’acrobatie, le tout – bien sûr- en cours particulier. En sortant du bureau de Tania, j’ai exactement 25 minutes pour me sustenter, et je cours à l’Obchaga pour me préparer de délicieuse pâtes nature que j’ai achetées la veille au 24 tchaçov en bas de chez Fabienne.
Après avoir ingurgité un bon quart d’assiette de ce succulent repas (Allez savoir pourquoi depuis quelques jours j’ai l’estomac noué ?), je retourne à l’école, pour retrouver Igor, mon prof de jonglage et prendre mes premières leçons. Igor possède quelques rudiments d’anglais qui le font parler dans un mélange brittanico-soviétique digne des méchants dans James Bond. Disons que les ennemis de James Bond maîtrisent tout de même mieux l’anglais que Igor, mais celui-ci étant un bon mime-pédagogue et sachant dire « plus haut la main droite » ou « les mains regardent les balles », nous nous comprenons parfaitement. C’est pour moi une des premières occasions de pratiquer la langue russe, qui m’avait échappée depuis quelques années. Je réalise petit à petit que mon 15 au bac de Russe LV2 ne vaut finalement pas tant que ça.

Les Russes ont une conception et une pratique toute particulière du jonglage, du lancer et du placement, et c’est avec plaisir que j’accepte de tout recommencer à zéro pour acquérir de nouvelles bases en gommant si possible toutes les imperfections que j’ai acquises et gardées depuis quelques années. De toute façon c’est en grande partie pour cette raison que j’ai traversé la moitié de l’Europe (du moins officiellement, la première raison étant le traumatisme que j'ai subi en venant ici une première fois et la lecture assidue de ces tarés de romanciers russes) et vu les performances des élèves qui jonglent autour de moi, ça à l’air de porter ses fruits, puisque c’est la première fois que je vois des gamins de seize ans jongler sans se presser avec neufs anneaux, sans que personne ne trouve ça incroyable. Le jonglage russe est très fluide, très léger, très lent, en fait, du moins an apparence. Igor aime à me parler d'un concept de "dynamisme décontracté", même s'il m'a fallu trouver mon dictionnaire pour comprendre de quoi il voulait parler la première fois qu'il a abordé le sujet. Le mot que j’entends le plus souvent sortir de la bouche d’Igor, qu’il s’adresse à moi ou à n’importe lequel autre de ses élèves est «
спакойни », ce qui se traduit littéralement par « tranquillement ». Ça fait plus d’une soixantaine d’années que le jonglage est enseigné dans cette école, et ils ont -semble-t-il- fini par trouver la bonne méthode.

Le gros soucis de l’école de Cirque de Moscou est qu’elle fabrique des clones : les gens ici n’ont aucune idée de ce qui se passe dans les cirques en Europe, ou aux USA (où la jonglerie est un sport de compétition diffusé sur sport channel, ce qui est une dégradation infamante des nobles arts de la jonglerie). De ce fait, tous les jongleurs travaillent les mêmes quelques figures, le but n’étant pas de chercher une identité dans le jonglage, mais bel et bien de jongler avec le plus d’objets possible. En cela ils sont très bons, pour le reste... Je retrouverai ça en rentrant en France, même si pendant mes heures de liberté je me laisse aller à jongler « à la française » comme on dit ici. J’en parle avec Alex, un Espagnol qui est arrivé la semaine précédente, et on en arrive très vite à cette conclusion : techniquement, les Russes sont vraiment très bons, mais pour le reste... Pas grave, on est venu là justement pour cette technique. J’enchaîne ensuite sur une heure d’acrobatie, et moi qui n’ai pas pratiqué depuis quelques temps (entre grandes vacances et genoux bousillés, j’ai eu le temps de refroidir) me voilà seul avec mon enseignant pour une heure à plein régime. J’étais habitué à des cours à douze élèves, où on pouvait toujours grappiller un moment de répit, ici c’est impossible. A la fin du cours, épuisé comme après un triple marathon en apnée, je salue solennellement mon professeur et m’écroule dans un coin de la pièce. Car au début et à la fin de chaque leçon, l’élève doit saluer son professeur dans un court rituel semblable au salut des artistes dans les cirques traditionnels. S'écrouler dans un coin de la pièce après le salut final est une tradition qui n'est permis qu'aux petits nouveaux, j'essayerai de perdre cette habitude...

Affalé dans mon coin, tentant plus ou moins d’étirer mes muscles devenus raides comme la justice, je fais la connaissance de Lisa, une Italienne élève de l’école depuis le mois d’avril. Comme avec Alex, nous conversons en anglais, et j’apprends que Lisa vit à l’Obchaga dans la chambre 12, tandis qu’Alex et sa copine Anastasia (une Grecque que je ne rencontrai que plus tard) partagent la chambre 16. Je vis à leur étage dans la chambre 15. Je sais à présent que j’ai dans mon couloir des voisins sympathiques et anglophones, et petit à petit va se former la communauté méditerranéenne (Espagne, Italie, Grèce, France) qui ne va pas tarder à s’agrandir quelques jours plus tard à la Hollande, après l’arrivée de Paula. Mais nous n’en sommes pas encore là. En sortant de l’école, je pars faire mes premières courses seul dans la jungle du supermarché d’en bas de chez moi, où j’essaye (non sans difficultés) de comprendre ce qu’il y a dans les boites, les paquets, jusqu’au moment ou je craque, prends une bouteille d’eau (l’eau du robinet n’est pas buvable) trois bananes, des cordons bleus, des gaufrettes et une boîte de petits pois avant de filer le plus vite possible vers les caisses, après un bon quart d’heure à tourner en rond sans résultat dans les couloirs du « 1 KOPEK ». Aux caisses, je croise Lisa et entame une logorrhée de deux minutes sans respirer dans laquelle je fustige les russes et la Russie qui ont inventé ce stupide magasin où les étiquettes des articles sont incompréhensibles, les rangées moins larges que les caddies, tu vois je suis un peu perdu là en plus j'arrive pas à faire marché ce putain de téléphone, puis devant son regard amusé je me souviens qu'elle ne parle pas français. Ca la fait rire, du coup je me détend d'un coup. Cette crise n'était peut-être pas uniquement due au magasin... Je la recroise dix minutes plus tard à la cuisine de l’Obchégitié. Nous mangeons finalement dans ma chambre (j’ai une grande table et pas de colocataire), et dans un anglais bien meilleur que le mien, mon hôte m’explique que depuis septembre elle est la seule étrangère ici, et aucun élève ne parlant anglais, français ou italien, elle n’a pas eu une conversation construite depuis un certain temps. Ceci dit, cela lui a -paraît-il- donné l'occasion de monologuer énormément et de se rencontrer. Il semblerait que ma tirade au 1 KOPEK fait partie des choses qu'elle a pu faire par le passé... Vers 10 h, elle prend congé, et après un rapide coup de fil à mon amoureuse, j’étends mon corps endolori sur le plus mauvais matelas à l’ouest de l’Oural.

La journée du lendemain fut plus ou moins semblable à celle qui la précéda. Je fais la connaissance d’Anastasia, la voltigeuse d'Alex et mes cours (les mêmes que la veille) sont sensiblement plus difficiles vu la violence des courbatures qui me tenaillent. Le soir, je rejoins Fabienne à KitaïGorod (en anglais : China Town) et nous allons boire un verre au ОГИ, un petit bar bobo que l’on atteint en descendant l’escalier d’une cave dans l’arrière cour d’un immeuble. Rien n’indique qu’il y a un bar ici, mais j’apprends que la moitié des bars sont des caves planquées dans des arrière-cours. Il suffit de savoir qu’il y a un bar, c’est tout. Oui mais… Comment on sait ? On sait, c’est tout. Le bar est très sympa, musique d’ambiance douce et bibliothèques pleines de bouquins. On peut y manger, comme dans tous les bars de Russie. Je commande une soupe de poireaux et un demi, et Fabienne me fait la remarque qu’il est tout-à-fait inconvenant dans ce pays de ne boire la bière qu’en quart de litre. Je m’en fiche. Enfin, quand même, promis, je ne recommencerai plus. Vers dix heures, nous nous séparons, car Fabienne a un couvre-feu à respecter (il n’y a pas de couvre-feu dans mon Obchegitié et j’habite en centre ville : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes), et je rentre par le métro, en descendant au Stade Dynamo non loin duquel je vis. Demain les choses sérieuses vont commencer : Fabienne, Alex, Anastasia et moi devons nous rendre à IKEA, et Fab nous a prévenu que ça ne sera pas une partie de plaisir.

jeudi 20 novembre 2008

TOME 2: Back in the USSR

TOME 2: Back in the USSR
Lettre du 5 novembre 2006


Découvrez Paul McCartney!


Pour mon arrivée à Moscou, Fabienne Perrin (connue par ses colocataires sous le nom de Maman Perrene) est venue me chercher à la gare, afin de me guider dans la jungle urbaine qu’est la capitale mondiale du crime organisé. Elle commence par m’expliquer que depuis qu’elle est arrivée ici, elle a la sensation d’être sous crack en permanence. Je ne vais pas tarder à la comprendre. Nous sommes dans une ville où tout est décalé, où il se passe des trucs étranges à des endroits inattendus ...S’attend-on à croiser en centre ville des meutes de chiens errants, des chevaux dans des souterrains? Je ne m'y attendais pas, et même préparé ça fait tout drôle de se retrouver devant le fait accompli..

Bien que je sois paralysé par la peur, et incapable de mettre un pied devant l’autre après mes 50 heures de car, Fabienne décide de prendre mon courage à deux mains (à une main en fait, dans l’autre elle a pris ma valise), et nous partons corps perdus (le mien du moins) à la recherche de mon école, où l'on ne s’attend pas à ma visite, puisque je n'ai prévenu personne de mon arrivée. Une fois de plus je résiste à l'envie de vous décrire combien longues et infructueuses furent les démarches qui finalement me menèrent ici. Je m’engouffre donc dans le métro à la suite d’une Fabienne déterminée, qui me paye un ticket de métro et refuse de me laisser porter ma valise tout seul puisque selon elle « T’as déjà ton gros sac et t’es assez paumé comme ça ! ». Bien que depuis notre rencontre, mon sport favori est de contrarier Fabienne (et Dieu sait combien j'ai su être imaginatif à ce jeu), je décide à ce moment d’être conciliant, tant il est vrai que je vais avoir besoin d’elle dans les heures à venir. Mon sac n'est pas si gros mais je suis effectivement assez paumé...Le métro est tel que je m’en souvenais : tout en marbre, digne d’un musée (c’est en fait le cas : après la révolution, tous les bâtiments tsaristes ou ostensiblement religieux ont été démolis afin d’avoir des matériaux pour décorer les couloirs souterrains et chanter la grandeur des bolchéviques) pas très bien indiqué et surpeuplé. Nous montons dans une rame de la ligne 5, aussi branlante que la station est somptueuse avec pour destination la station Bieloruskaïa, proche de la gare où je suis arrivé.

Arrivé à ladite station, nous demandons notre chemin à des autochtones qui tant bien que mal nous permettent (surtout, il est vrai, grâce au plan de Fabienne) de trouver la direction à prendre. Mon école se trouve sur la « 5ia iamskovo polia », c'est-à-dire que c’est la troisième rue parallèle à la rue Iamskovo. Si, si, c’est simple, les parallèles sont numérotées 2, 4 et 6 et les perpendiculaires 1, 3 et 5. Après avoir traversé à pied le chemin de fer que nous longions depuis quelques centaines de mètres (il n’y a ni pont ni souterrain) nous trouvons cette 5ia iamskovo polia sur laquelle nous nous embarquons. Comme nous sommes au 2 et que nous cherchons le 24, nous pensâmes naïvement que l’école se trouverait après le 22. Grossière erreur, car après le 12 (ou peut-être le 16) nous trouvons un 24, qui ne ressemble pas à une école. Il nous faut un certain temps pour comprendre que ce 24 est le 24 d’une rue perpendiculaire, et non celui de iamskovo, et que ce bâtiment n’est pas mon école mais bien le « building » du quotidien « la Pravda » qui fut à l’époque soviétique l’organe du parti unique (à l'heure de la démocratie, elle a maintenant beaucoup changé et est devenue l'organe de l'unique parti, le monde et les temps changent). Nous reprenons notre route, et finissons par apercevoir un bâtiment dont la forme circulaire laisse peu de doute sur sa nature. Захадим? Entrons!

C’est là que Fabienne quitte son poste de copine accueillante pour devenir ma traductrice officielle. Le jour ou elle fera ça à l'ONU ce sera sûrement moins marrant... Nous discutons (elle discute) avec le garde dans l’entrée du bâtiment, qui nous accompagne au bureau de Tania, la responsable des élèves étrangers que j’ai eu au téléphone un nombre incalculable de fois avant mon départ, mais que je n’ai pas prévenu de mon arrivée (j’ai essayé de le faire plusieurs fois – sans succès, mais il est vrai qu'il ne s'est passé que très peu de temps entre l'obtention de mon visa et mon départ de l'héxagone). Quand j’entre dans son bureau, en déclinant mon identité, elle me dévisage quelques instants avant de lâcher « Martiene, I’m glad to see you here ! ». Moi aussi je suis content d’être arrivé, surtout que l’école est magnifique. Nous la visitons avec Fabienne qui répète à plusieurs reprises qu’elle est trop jalouse, parce que mon école a « trop la sseucla » comparée à sa fac apparemment en ruines. L’école compte deux immenses salles (en plus des salles de classes, salles de bureau et salles de danse), une rectangulaire et l’autre circulaire, qui n’est autre qu’une salle de spectacle, avec gradins, conçue uniquement pour le cirque. Ça me changera des chapiteaux qui prennent le vent pendant l’hiver ! Je rencontre Igor, qui sera mon professeur de jonglerie, un type plein de bagouzes, gourmettes et boucles d'oreilles en or et un pull Ferrari, et aperçoit un de ses élèves (seize ans, maximum) en train de jongler à huit anneaux avec une facilité déconcertante...ah bon, d'accord.

Après avoir rempli quelques formalités, nous partons vers ma cité U (ici on dit Obchégitié, ou Obchaga pour les intimes) qui se trouve être à une (petite) cinquantaine de mètres de là. C’est une bonne nouvelle, je n’aurai pas à marcher dans le froid pendant des heures tous les matins pour me rendre en cours ! L’hiver, à Moscou, ce genre de trucs compte pas mal ! Si mon école est somptueuse, mon Obchaga, elle, est nettement moins glamour. Très nettement même. Les cités U françaises passeraient pour luxueuses auprès des étudiants Soviétiques. Non, j’exagère, mais... D’aspect extérieur, elle n’est déjà pas reluisante. L’entrée est très russe (peinture qui se décolle, sofa datant de l’invasion Mongole, et derrière sa grille, un gardien, qui me remet les clefs de ma chambre, la 15, au premier) et les couloirs sont dignes d’intérêt. En effet, sur un lino grisâtre sont entassés tout le long du couloir quantité de sommiers, chaises cul-de-jatte, fauteuils enfoncés, gazinières antédiluviennes, bureaux d'écoliers et sacs de plâtre donnant à ces couloirs un coté « sovietico-roots » finalement sympathique. Galina, la surveillante d’étage –une quinquagénaire pétante de santé et aux cheveux lila- me mène à ma chambre.

Les chambres, spacieuses, comportent deux lits. Par chance, je n’ai pour l’instant pas de colocataire, et pour l’instant, on n’attend l’arrivée de personne, j’ai donc des chances de le rester, du moins pour quelques temps. Le plancher (non vernis, traité ou ne serait-ce que fixé au sol) est disjoint et extrêmement poussiéreux. Voir même crade. Les placards n’ont plus trop de portes, mais la table et le bureau sont tout neufs. En fait, le réel problème n’apparaît qu’une fois que je me suis assis sur mon lit. Les lits n’ont pas de sommiers, juste une planche. Sur chaque planche est déroulée une paillasse en guise de matelas. Les paillasses sont assez vieilles pour avoir servi aux soldats du Tsar dans les tranchées en 1917, peut être ont elles même servi de barricades quand Napoléon encerclait la ville et elles sont tellement compactées qu’elles sont devenues dures comme du bois. Je pique donc la paillasse du lit voisin pour entasser les deux sur mon propre lit. Une fois cela fait, ça reste le plus mauvais lit sur lequel j’ai jamais dormi. Ce coup-ci Fabienne est moins jalouse. Si son Obchaga n’est pas digne d’un Hilton, et si son sommier n’est également constitué que d’une planche, elle a par contre un matelas qui lui procure un minimum de confort. Je commence à déballer mes valises quand le regard de Fabienne tombe sur des livres en Français. A priori, elle et ses colocataires sont en pénurie totale de bouquins, et elle me remercie avec enthousiasme pour les deux livres de Buckowski et Kerouac (j’ai oublié Ivresse de la métamorphose de Zweig dans le car) que je lui refile. J’ai beau expliquer que je lui étais de toute façon redevable puisqu’elle avait séché une journée de cours pour m’accueillir et porter ma valise, elle en reste toute bouleversée. « Je n’avais que "Le Diable s’habille en Prada", et Juan m’a piqué "Anna Karénine" ».

Quelques minutes plus tard, nous quittons l’Obchaga, direction la Place Rouge, atteignable depuis mon nouveau chez moi en deux stations de métro. Attention, cela ne signifie pas que je vis à cent mètres de la Place Rouge, les stations de métro sont plutôt éloignées les une des autres, le trajet prend une quarantaine de minutes à pieds. Après quelques photos prises avec le téléphone high tech de ma guide, nous entrons dans le GOUM (ГУМ en cyrillique), le somptueux Centre Commercial Soviétique qui occupe un côté entier de la place. Le Goum contenant surtout des magasins de luxe, la moitié des vitrines sont françaises, et un bon quart italiennes. Le reste est partagé entre Mac Do, KFC (ici ça s'appelle Ростикс) et quelques rares magasins russes. Il est 16 h et aucun de nous n’a mangé, nous nous arrêtons donc au KFC ou pour une somme modique, nous engloutissons un sacré nombre de calories. On se sent mieux après. Fabienne profite de notre repas pour m’offrir un cadeau de bienvenue : son vieux portable français, avec à l’intérieur une carte Sim russe toute neuve avec du forfait dessus ! Comme les SMS vers la France coûtent uniquement 2 roubles (il faut 34 roubles pour faire un euro), j’aurai au moins un moyen de communication avec la France, puisqu’il est impossible d’avoir Internet à mon Obchaga...

Nous ressortons du Goum afin de continuer notre visite touristique quand la pluie et la flemme s’abattent soudainement sur nous comme la vérole sur le bas clergé. Nous nous enfournons dans le métro le plus proche, et après quelques stations, et quelques changements dans d’immenses couloirs, nous parvenons à V.D.N.KH. (В.Д.Н.Х,se prononce veudeunnekheu) où un bus nous emmène en bas de chez Fabienne. L’Obchaga de Fabienne ne manque pas de charme, comme un peu partout ici, la vie s’est arrêtée dans les années soixante (cinquante ?), et il me faut remplir des autorisations auprès de la garde, et montrer passeport et visa pour avoir l’autorisation de monter. L'heure de mon arrivée sera consignée, avec le numéro de chambre de Fab dans un énorme grimoire gris et marron. Ceux qui pensent que la France est un pays de paperasseries n’ont qu’à venir faire un stage au pays des Soviets, ils complexifient tout d’une manière magistrale.

La chambre de Fabienne est plus spacieuse que la mienne, et elle a du lino, et un vrai matelas ! J’en reste bouche bée. Je n’aurai pas la chance cet après-midi de rencontrer Fanny, la camarade de chambre de Fabienne, mais je rencontre Juan, un autre camarade de classe de Fab à Lyon III ainsi qu’ici. Il est Mexicain mais il étudie ici le Russe et l’Anglais avec un statut d’Erasmus Français. C’est un rien compliqué... Passons. Nous buvons du thé tandis que mes hôtes me montrent des photos des endroits de Moscou qu’ils préfèrent. Ils m’expliquent aussi qu’il a neigé quelques jours plus tôt, et que si la température est de nouveau positive (douze ou treize degrés) ça ne devrait pas durer. En échange des deux bouquins que je lui ai prêtés, Fabienne me prête l’incontournable « Le Diable s’habille en Prada », que j’ai d’ailleurs dévoré et (Jésus, Marie, Joseph, est-ce possible ?) adoré. Vers 8 h, je me décide à rentrer chez moi, mais Fabienne, dans une énième crise de mère-poulisme a peur que je me perde à tout jamais dans la nuit froide de [l’oubli] de Moscou. Elle me raccompagne jusqu’à V.D.N.KH, puis m’ayant donné un plan du métro ainsi qu’un autre de mon quartier, elle me laisse prendre le métro en me faisant jurer de la prévenir dès que je serai rentré. Je dois avouer que je suis très touché de toutes les précautions qu’elle a prises depuis le matin pour me permettre un atterrissage en douceur. Après trois métros et quinze minutes de marche, je rentre chez moi. Il doit être 21 h mais je suis claqué. Je profite un peu de mon nouveau portable russe pour fusiller mon forfait en une seule fois en appelant Charline, pour lui dire des mots doux et la rassurer sur mon sort. Oui, je suis en vie. Quelques SMS et coups de fil plus loin, je m’endors comme une masse sur mon misérable matelas (je pense alerter l’ONU à ce sujet, il y a sûrement quelque part un texte qui interdit ce genre de choses, la convention de Genève ou le traité d'Oslo, un truc du genre quoi), puis me réveille régulièrement dans la nuit. Ah ben merde, ça-y est, j’y suis...

TOME 1 : Tintin et les Cars Eurolines

TOME 1 : Tintin et les Cars Eurolines
lettre du 29 octobre 2006

Note de l’auteur : Ces aventures sont contées dans un style ampoulé à une heure où je ferais mieux d’être au lit, sous ma couverture. La concordance des temps n’est pas respectée parce que je ne maîtrise le style ampoulé que quelques heures par jour, après quoi je recommence à parler au présent de l’indicatif.

Depuis mon premier voyage en Russie lors d'un voyage scolaire en classe de troisième, j'avais juré d'y retourner un jour, alors...



Après de longues pérégrinations dont je vous passerai les détails (elles furent longues et ennuyeuses, parfois infructueuses et décourageantes) j’obtenai mon visa pour la Russie, ainsi qu’une autorisation de transit pour la Biélorussie, obtenus tous deux dans des ambassades du XVIè arrondissement parisien. Je pouvais enfin quitter le sol français, destination Moscou, la capitale de l’éternel pays des Tsars et des Soviets : La Russie. Contrée de Lénine et Dostoïevski, la Russie est aussi le pays du Cirque Traditionnel, où les jongleurs ont depuis longtemps outrepassé les lois de la physique pour accomplir des exploits inégalés dans le reste du monde. Des larmes plein les yeux - je quittais en même temps que la France ma très chère Charline, chez qui je vivais depuis quelques mois, d’abord à Lyon, puis à Nanterre - je m’engageais vers la gare routière de Paris-Gallieni d’où un car devait m’emmener jusqu’à Moscou. Premier obstacle à 6h 25 du matin, quand la guichetière m’annonça d’un ton amer que le conducteur du car était mort d’un arrêt cardiaque durant la nuit (nous apprîmes plus tard qu’il était mort dans un Hôtel à Sofia, et que les autorités Bulgares n’avaient pas prévenu la famille du conducteur, qui resta donc quelques jours à Sofia, garé à côté de lui le car qui devait me faire traverser l’Europe) et que le départ serait retardé.
À 8h, un car au départ pour ladite Bulgarie nous embarque pour l’Allemagne ou un autre car nous attendra, à la gare de Karlsruhe. Intéressant. Quand ça ? On l’ignore, mais on nous préviendra sur place où se rendre pour prendre notre correspondance. Formidable, j'ai toujours rêvé de visiter la gare routière de Karlsruhe! Durant l’attente causée par la fin peu enviable de mon cher pilote de car, entre deux étreintes passionnées avec ma susnommée Charline - dont je suis l’amoureux d’ici bientôt deux ans - je rencontrai un jeune Allemand, francophone comme ne le sont que les Germains, qui me tint compagnie dans le car jusqu’à Nüremberg où il rentrait après des vacances bien méritées chez sa petite amie, "Erasmus" à Paris. Je discutai ensuite sur une aire d’autoroute avec un Bulgare rentrant chez lui après trois années passées à Paris pour passer un doctorat de physique. (NB : Ne faites pas attention à la concordance des temps, je suis très fatigué) Finalement, après une dizaine d’heures passées dans un car high-tech, où des écrans plats sortant des murs diffusent des films -Dieu soit béni- en anglais, nous arrivons a Karlsruhe, où un bon vieux car soviétique à deux étages nous attend en soufflant d’immenses volutes de gasoil.

Nous abandonnâmes les Bulgares pour pénétrer dans l’antique engin qui devait nous faire traverser les contrées polonaises et biélorusses, direction Moskva. En pénétrant dans le bus, nous comprenons rapidement que nos trois nouveaux pilotes ont traversé l’Europe à bord de l’engin un nombre incalculable de fois, et qu’ils vivent dans ladite machine. Les passagers doivent s’asseoir au premier étage, le rez de chaussée étant plus ou moins la maison des chauffeurs. À l’avant, la cabine de pilotage comporte cinq ou six sièges, un écran de télé permettant aux trois chauffeurs (dont celui qui a le volant en main) de regarder les cassettes vidéos diffusées à l’étage supérieur pour le confort des passagers. Cette cabine servant de zone fumeurs (en effet, ayant pris 4 h de retard à Karlsruhe, les chauffeurs avaient décidé de ne pas prendre de pause, ni pour les repas, ni pour les pauses-pipi, tous les fumeurs se réunirent plusieurs fois dans cette cabine) est séparée du reste du “rez de chaussée” par de magnifiques rideaux de flanelle. Ce rez de chaussée est très... cosy. Matelas, couvertures, cafetière, théière, micro-ondes, évier, toilettes (avec vue sur le paysage), rien ne manque. Les chauffeurs nous servent d’ailleurs le thé un certain nombre de fois, il suffit d’aller les voir dans leur cabine pour qu’ils fassent fonctionner leur bouilloire électrique aux allures de butagaz intergalactique. Il paraît que cet engin est en fait un samovar électrique, nous approchons la Russie a grands pas. Nous roulons de nouveau, j’ai réussi à choper une super place : j’occupe à moi tout seul les cinq sièges du fond (comme nous ne sommes que sept ou huit dans le car, tout le monde a, de toute façon, quatre ou cinq sièges pour soi) ce qui me permettra de m’allonger confortablement durant la nuit. Ce que je fais rapidement, après m’être enfilé la moitié des “Clochards Célestes” de Kerouac. La nuit est sans histoire, les films russes en noir et blanc ne m’empêchent pas de sombrer dans un sommeil profond, sauf à 4 h du matin, où un douanier agressif me secoue et me demande mon passeport dans une langue inconnue.

Au matin, nous sommes en fait en Pologne, et en descendant chercher du café, je prends peur : les chauffeurs ayant décidé de ne pas faire de pause ce matin, ils profitent d’une ligne droite pour se passer le volant, et réalisent des prouesses acrobatiques pour éviter de perdre cinq minutes. Je n'ai pas mon permis et je n'oserais pas critiquer des professionnels mais je suis quasiment sûr qu'il existe quelque part une loi qui interdit ce genre de pratiques. Je remonte m’affaler dans le car, et regarde par la fenêtre le paysage. Comme il ne semble pas y avoir d’autoroutes traversant la Pologne, nous faisons toute cette partie du voyage sur des sortes de routes nationales, où roulent aussi bien des poids lourds que des voitures à cheval qui sont nombreuses, et cadrent bien dans le paysage de maisons de bois et de paysans labourant leurs terres à mains nues. J’ai l’impression de visiter les années cinquante, impression qui perdurera durant la traversée de la Biélorussie, ainsi que durant ces premiers jours à Moscou.

Nous traversons donc la Pologne, puis arrivons dans l’après-midi à la frontière biélorusse, ou je remplis non sans une certaine difficulté des papiers qui me permettront de traverser le pays, mais également d’entrer en Russie, sans avoir à subir l’assiduité bien connue des douaniers Russes. Pour rendre plus aisé l'entrée des étranger dans leur pays, les autorités ont eu la charmante idée et l'incroyable gentillesse d'imprimer des papiers bilingues, en Russe et en Biélorusse afin que tout un chacun puisse s'y retrouver. Comme les douaniers ne tolèrent qu’une bouteille d’alcool par passager et qu’une de mes camarades de bus en possède deux, je passe la frontière avec une bouteille de Ricard dans ma housse de guitare. Avant notre passage devant les militaires Biélorusses, notre car nous abandonne, nous prendrons un autre car de l’autre coté des douanes. Finalement c’est le même car qui nous attend, mais les chauffeurs nous préviennent qu’à Brest, à quelques minutes de là, nous allons devoir prendre un nouveau bus. Nous arrivons donc à Brest, où les conducteurs apprennent par radio qu’ils doivent en fait nous conduire jusqu’à Minsk. Entre Brest et Minsk, la propriétaire de la bouteille de Ricard sort ladite bouteille pour faire goûter à ses nouvelles copines cet incroyable breuvage français. Elle m’en sert un plein godet (sans eau, ces rustres boivent ce breuvage déjà infâmement sucré avec du jus d'orange, j'ai préféré éviter une douloureuse expérience...) que j’accepte à contrecœur après y avoir versé quelques gouttes de mon eau minérale afin de ne pas sombrer dans un coma éthylique à la première gorgée. Par chance, nous nous arrêtons quelques minutes plus tard, et tandis que ces demoiselles sortent du car pour fumer une cigarette, j’en profite pour jeter mon pastis dans l’évier. À 20 h nous arrivons à Minsk, et la grande bouteille de Ricard est finie depuis longtemps...

Si l’été indien a réchauffé le mois d’octobre en France, il n’en est pas de même dans la capitale de la Biélorussie, et je sens pour la première fois le froid s’infiltrer sous mes fourrures polaires flambant neuves. Après quelques minutes d’attente, un nouveau car nous prend en charge, il est fraîchement repeint, et une partie des sièges a été ôtée, de ce fait je ne peux m’allonger sur ceux du fond, qui doivent être en réparation quelque part dans les garages d’Eurolines. Commence alors une nuit pénible, allongé sur quatre sièges, puis deux, puis de nouveau sur quatre (dans ce dernier cas je bloque le passage, le buste sur une banquette, les jambes sur l’autre et les fesses tombant sans cesse dans le gouffre entre ces deux rangées de sièges.

A neuf heures du matin, nous arrivons (enfin) à l’entrée de Moscou, mais nous passerons 1h 30 dans les bouchons, pour être finalement déposés a 10h 30 à la gare routière. Durant ces premiers bouchons moscovites, j’ai l’occasion d’apercevoir que sur tous les grands axes routiers, il y a au centre une voie réservée à la police, à l’armée et aux services du gouvernement. Cette voie est empruntée par de très nombreuses Mercedes noires, alors que sur le périphérique ne se pressent que des vieilles Lada datant généralement de l’époque soviétique. À midi, Fabienne -qui est à Moscou depuis deux mois- vient me chercher à la gare, pour me faciliter l’atterrissage dans ce milieu hostile et étranger qu’est la Russie.

Alors... “En route vers de nouvelles aventures !”

Coming Soon

Pour les quelques un qui avaient suivi, la version revue et corrigée de Martin au Pays des Soviets devrait être mise en ligne petit à petit, qu'on se le dise!
Bonne lecture
Martin