jeudi 29 janvier 2009

TOME 17 : Puisqu'il faut s'y résoudre

TOME 17 : Puisqu'il faut s'y résoudre

Découvrez Georges Brassens!

Ça fait, à l'heure qu'il est, un sacré moment que j'ai quitté la Russie, j'ai pas été du tout à l'heure dans l'écriture de ce dernier chapitre, ce qui fait naturellement que la chronologie et la nature des événements qui se sont passés durant ma dernière semaine là-bas me sont pas mal sortis de la tête... je fais avec ce qu'il me reste.

En russe, spoutnik signifie "compagnon de voyage"


Le temps a passé très vite après mon passage à Saint-Pétersbourg. Dix jours après ce week-end-là, j'ai dû faire mes adieux à Moscou, et à tous les gens que j'y ai rencontrés. Sur les onze étrangers présents à l'école, nous étions huit à devoir partir dans la semaine suivante, ne laissant ici que Regina, Alex et Anastasia. Une ambiance de fin de règne flottait sur le groupe, et ces jours ont été ceux des dernières fois. Derniers cours, dernières ballades, dernières soirées, derniers repas, dernière poussée de fièvre m'ôtant la possibilité d'une dernière cuite, derniers flocons... Nous avons passé nos soirées entières les uns chez les autres, profitant des derniers instants à passer ensemble, sachant pour la plupart d'entre nous que nous ne reverrions probablement plus. Autant dire que j'ai eu sacrement le blues sur ces jours-ci. Les retours sont toujours tellement étranges, posant dilemmes, nous coinçant entre la joie de rentrer chez soi et la tristesse de laisser derrière nous des lieux et des personnes que l'on a rencontrés, apprivoisés, aimés, que l'on s'est appropriés et qu'on doit laisser derrière nous définitivement. Dieu que cette phrase est magnifique...

Je suis repassé quelques fois chez Fanny et Fabienne, nous y avons même une fois fait un petit repas à la française : il me restait dans mon sac un dernier bloc de foie gras, et la mère de Fanny avait laissé en repartant un bouteille de vin de la cave de son restaurant, un Bordeaux de 1986... Après plusieurs mois aux patates arrosées de ces infâmes bières russes, je n'osais même plus penser pouvoir faire un tel repas au cœur de cet empire de l'anti-gastronomie qu'est Moscou. Un as du couteau caucasien voisin des filles nous a même sauvé la mise quand le bouchon, friable au possible, a failli tomber au fond du goulot, ce qui aurait sonné la fin de notre petite réception de début d'après midi. Je commençais à jalouser sincèrement ces deux lyonnaises, d'autant que Fanny m'a parlé de sa tristesse de ne plus rester que quatre mois par ici. Je resterais bien encore un peu moi aussi ! Mais comme Fab m'a promis qu'elle aurait une chambre d'ami quand elle se sera définitivement installée dans un duplex rue Maroceïka, ça m'a pas mal consolé. Par contre, j'ignore si elle me laissera conduire son 4x4 Lexus...

A l'obchégitié, nous avons redoublé d'ardeur et d'assiduité, afin de voir tous ensemble jusqu'au dernier épisode de la dernière saison de Friends, toujours entassés à huit sur un canapé face au minuscule écran de mon ordinateur. Le dernier vendredi soir, nous avons passé la soirée dans la chambre de Linne, à jouer aux cartes, au jeu des post-it, à fumer comme des pompiers et à regarder la neige... Le lendemain matin, je me suis réveillé avec un mal de crâne à se fusiller et l'estomac dans un état lamentable, en pestant contre cette infâme gueule de bois qui nous fait toujours regretter la bonne soirée qu'on a passé la veille. En attrapant la bassine spécialement cachée sous mon lit pour les réveils douloureux, les fois où je passerai la nuit dehors en compagnie de Russes (qui sont fourbes et redoutables) je me suis souvenu que durant la soirée je n'avais bu en tout et pour tout qu'une bière... J'ai le front brûlant... J'aurai du me douter que quelque chose viendrait gâcher mon dernier week-end, je me retrouvais dans l'impossibilité de me prendre une dernière cuite moscovite ! Le sort est parfois cruel avec les innocents et les cœurs purs. Coup de chance, tout le monde étant sur les genoux (après trois mois moscovites sans vacances et avec le rythme qu'on avait, je ne trouve rien d'étonnant là dedans) il a été décidé qu'on passerait la soirée à la maison autour d'un bon gueuleton à faire des jeux stupides mais pas fatigants. J'étais soulagé de ne pas louper ça, même si la perspective de les voir s'en envoyer plein la paillasse en mangeant de mon côté un concombre sans sauce ne m'enchantait guère, surtout sachant que Simon préparait ses légendaires pâtes à la crème de crevette, pour lesquelles je n'hésiterais pas à vendre mes propres parents... La première difficulté fut de ne pas trop vomir en regardant les autres cuisiner (c'est fou comme les mets les plus délicats prennent un autre aspect quand notre tube digestif est en grève), épreuve que je passais avec brio. La seconde de rester éveillé durant la soirée... au cours du repas je repris de l'assurance, engloutissant même goulûment treize grammes de pâtes aux crevettes, quantité suffisante pour que j'arriva à satiété. Même Fabienne et Fanny furent de la partie, restant jusqu'à onze heures, s'apprêtant à braver les diéjournas qui ont la sale habitude de fermer leur obchaga . Si elles reviennent un jour vivantes de la Sainte Russie, on vous fera des pâtes à la Simon, il m'a refilé quelques tuyaux. La soirée fut exquise, bien que courte, nous fumes tous au lit à deux heures du matin, majoritairement sobre, à part Simon et Alex qui ne tiennent pas aussi bien qu'ils ne le prétendent face aux boissons locales.

Le lundi matin, veille du départ, je sortais après maintes pérégrinations de l'ambassade de Biélorussie avec un visa de transit ressemblant à s'y méprendre à un vrai, payé en dollars (la caissière de l'ambassade m'a remboursé en roubles, comme elle s'est plantée dans les taux, j'ai même eu droit à une petite ristourne). Etant en plein Kitaï Gorod (ce que je peux adorer ce quartier, Fabienne a vraiment intérêt à vite revenir ici quand elle aura fini ses études de traduction), proche du centre, je ne résistai pas à la tentation d'aller faire un dernier tour sur la Place Rouge, dire au revoir à ses merveilles et aux miliciens qui les protègent. Le temps s'était plutôt rafraîchi, et des nuages cachaient l'épaisse couche de pollution qui sépare les Moscovites du ciel... Les premiers flocons se sont mis à tomber lorsque, longeant la façade sud du Goum, j'entrai sur cette carte postale qu'est la Place Rouge. Remerciant Alain Gillot-Pétré pour la parfaite synchronisation des éléments, j'évitai des touristes français (sale engeance !) qui cherchaient leur chemin à l'entrée de la place. Bordel ! Que tout cela va me manquer... Je fis mes adieux à Saint Basile, au Kremlin, puis remontant vers le nord, au Manège, à Tvierskaïa... Je montai dans le premier métro, me dépêchant pour arriver à l'heure à mon dernier cours. Le soir, je me décidai à commencer à empaqueter mes valises, toute tentatives précédentes ayant été avortées par des "Ne remet pas à demain ce que tu peux faire après-demain" dus à mon absence totale d'envie de partir. Pour tout dire, j'avais en tout et pour tout décroché les affiches de propagande soviétique qui ornaient mes murs... Mardi matin, je bouclai tout ça avant de prendre une dernière fois le chemin de l'école, pour manger une dernière fois dans la cantine (et y ingurgiter une dernière fois un plat servi une fois par semaine que personne n'a jamais su identifier, au goût oscillant entre le boeuf, le poisson blanc et le poulet) remplir les derniers papiers dans le bureau de Tania et dire au revoir à tout le monde. Pas bien faciles les adieux... Le plus remarquable fut sans doute Igor, mon prof de jonglage qui me dit en me quittant : "Martin, quand tu jongleras en France, n'oublies jamais ce que je t'ai dit à propos de la position de ton poignet droit". Les autres ont été moins solennels, je ne sais pas combien de personnes j'ai serré dans mes bras cet après-midi là... Russes, Danoises, Arméniens, Biélorusses, Suédoises, Espagnols, Grecs et Ukrainiens m'ont souhaité bon voyage après de longues accolades à la limite de la larmoyance. En refermant la lourde porte de l'école, j'avais l'estomac dans la gorge et le coeur dans les talons. J'ai rejoint ma chambre, ou Fabienne est vite arrivée pour m'embarquer jusqu'à la gare. Ma voisine Nastia, la plus belle Russe du monde, est venue me dire au revoir lorsque je fermai à clef la porte de ma chambre, et ma guitare sur le dos et une valise dans chaque main (et une autre dans les bras de Fabienne) je me suis résolu à m'en aller. Le voyage jusqu'à la gare fut sans histoire, juste l'occasion de finir mon dernier abonnement de métro, et on arriva à la gare avec pas mal d'avance.

J'avais réservé mon billet de car à l'avance, mais connaissant les fourberies de l'administration locale, je pensais qu'arriver à l'heure serait un risque inutile... J'ai bien fait. Dernier passage au guichet "Vous payerez les 4125 Roubles au chauffeur, le départ se fait de l'autre côté de la gare". Il faut bien dix minutes pour contourner la gare, et dix de plus pour trouver le bon car. Quand je lui donne mes valises, le chauffeur me dit qu'il faudra ajouter un supplément "bagages" au 125 euros du billet. 125 euros ? "On paye toujours en euros sur cette ligne Monsieur, nous ne pouvons pas recevoir les roubles". Je commence à vouloir gueuler, mais quand je suis énervé je parle encore moins russe qu'en temps normal, alors Fabienne prend le relais, alternant un sourire triste et des yeux de faon orphelin à des tirades bien senties dans le plus pur style "Moscovite libérée sûre de ses droits", arrivant à convaincre le chauffeur de me prendre malgré tout. A cause du supplément, je me vois obligé de lui taper 500 roubles avant de lui faire mes ultimes adieux, de la remercier dix fois pour toutes les fois où elle m'a sauvé la mise et de monter dans le car, en compagnie de ces chauffeurs qui deux minutes plus tôt étaient prêts à me laisser sur le quai... Nous sommes partis, une neige mouillée dégringole d'un ciel aussi gris qu'un HLM soviétique, mais je profite tout de même du paysage, admirant Moscou, et son centre magnifique, puis le deuxième boulevard de ceinture qui nous fait passer dans ma rue avant de quitter la ville par l'autoroute.

Le car est beaucoup moins agréable qu'à l'aller, c'est un bête car, où l'on s'assoit inconfortablement, avec une barre au milieu du dos et les genoux sous le menton... Nous sommes assez nombreux dans le car, beaucoup plus qu'à l'aller, pas de place pour s'allonger, pas de samovar, pas de coin fumeur non plus, et les toilettes sont bouchées et sentent jusqu'à l'avant du car. Nous nous arrêtons juste avant le coucher du soleil le long d'une rivière où sont entreposées à la file une dizaines de petites baraques en bois où d'authentiques pêcheurs vendent leurs prises ; poissons frais de huit kilos ou poissons séchés aux allures de monstres marins, alevins macérant dans des bocaux... On a dû quitter Moscou depuis belle lurette pour tomber dans un tel endroit ! Après un passage aux toilettes publiques (celles du car sont définitivement hors d'usage, ce qui est fâcheux quand on entreprend un périple d'une cinquantaine d'heures) nous repartons sur la route de plus en plus cabossée qui va droit vers Minsk. Au milieu de la nuit, avant d'entrer au Bélarus, nous changeons de car entre deux entrepôts plantés en rase campagne. Le car est sensiblement le même, en plus confortable (toujours les genoux sous le menton, les autocars ne sont pas conçus pour des types avec des jambes de 1,20 m) avec des vrais toilettes qui sentent le Monsieur Propre fraîcheur printanière et deux nouveaux chauffeurs biélorusses à la mine avenante qui eux n'ont pas l'air d'avoir mangé leur mère au petit déjeuner. Il y a du mieux... Nous atteignons Minsk vers 6h du matin, et le car se remplit intégralement d'authentiques Biélorusses (Bélarussiens?). Je sors griller quelques clopes, mais mon pull ne me permet pas de rester bien longtemps sous la neige qui tombe à gros flocons, par huit degrés de froid. En rentrant dans le car, je lâche bruyamment qu'on se gèle le cul dans ce pays, et une voix me répond derrière moi que j'ai mal choisi ma destination si je ne supporte pas un petit moins huit. Ah, un français, j'ai tellement pris l'habitude de jurer à voix haute que je n'ai pas pensé que je pourrais ne pas être le seul français dans ce bus. En fait, sur la quarantaine de passagers, nous sommes deux, nos compatriotes ayant généralement les moyens de se payer un billet d'avion, ce qui n'est pas le cas des autochtones. Bien que français, mon voisin de rangée m'a tout de même l'air sympathique. Sa barbe bien taillée et sa chemise canadienne rangée dans son pantalon me font tout de suite penser à quelque séminariste en voyage initiatique. Il sort de son sac plusieurs ouvrages de théologie et s'attelle à une lecture scrupuleuse d'un livre de l'ancien testament, en soulignant au crayon à papier les passages intéressants. Bingo. Bien que croyant, lecteur averti et portant une chemise à carreaux rouge et marron, mon spoutnik est marié à une Biélorusse (donc statistiquement orthodoxe), et ses références à la sainte Église romaine me font savoir qu'il est catholique. Il n'est donc pas religieux, mais on n'est pas passé loin. Pendant que le chauffeur nous explique que nous arriverons à Paris aux alentours de minuit (comment ça minuit ? Il faudra prévenir Charline, je devais arriver en pleine après midi), mon compagnon -dont j'ai oublié le nom- m'explique d'une manière logique et implacable que croire en Dieu signifie voter Bayrou dès le premier tour, car il est le candidat de l'amour qui mettra fin à toutes ces guerres politiques responsables de la délinquance, du chômage, de la chute de niveau à l'école et de la grippe aviaire. Logique, oui. En attendant, il faudra trouver un moyen de dire à Charline de ne pas venir me chercher en RER, je ne veux pas qu'elle passe sa nuit à m'attendre dans une gare routière sordide à une heure et demi de chez elle.

Après avoir traversé villes et campagnes où fleure encore bon la péréstroïka, nous arrivons vers cet endroit toujours plus difficile à passer dans un sens que dans l'autre : la frontière Bélarusso-Polonaise, frontière entre le territoire "Russe" qui pour les passeports et visas contient encore le Bélarus et "l'Europe", cet espace rempli de dégénérés, de MST et de pédérastes. Autant mon camarade et moi, seuls Européens du car, passons cette ligne comme une lettre à la poste dont on est content de se débarrasser (une fois de plus j'enlève mes lunettes une demi-douzaine de fois pour ressembler à ma photo sur le passeport), autant nos amis slaves ont quelques difficultés : les Européens voient d'un mauvais œil l'arrivée des ces Slaves, venus des froides contrées où règnent l'alcool, la mafia, la main d'oeuvre bon marché et les prostituées de luxe. On peut humer ici une bonne vieille odeur de rideau de fer... Deux bonnes heures pour vérifier quelques passeports, deux de plus avant que les résidents des provinces caucasiennes ne récupèrent les leurs, deux ou trois minutes pour fouiller une centaine de valises. Une fois de plus, les plus bronzés sont fouillés tandis que les autres gardent les mains dans leurs poches... Ah, l'Europe ! Les températures s'adoucissent en Pologne, même si la nuit est déjà tombée lorsque nous nous y arrêtons pour nous dégourdir les jambes, faire craquer nos vertèbres, fumer treize clopes en vingt-cinq minutes et nous réapprovisionner en sandwichs... A la frontière allemande, mon compatriote (mais comment s'appelait-il ?) et moi sommes de nouveau chouchoutés, les Slaves et les bronzés de nouveau fouillés, inspectés, suspectés... Un Turc qui faisait le voyage avec nous (que Diable un Turc fait-il dans ce véhicule ?) se fait retenir plusieurs fois, évidemment. Puis, quand le soleil monte, nous réalisons que nous sommes passés des moins sept d'un hiver slave tardif au vingt-huit degrés d'un précoce été germanique en une vingtaine d'heures. Nous tombons les vestes, retirons nos godasses pour profiter d'une pelouse d'aire d'autoroute, retirons nos sweat-shirt, nous épongeons le front en nous regrettant déjà les rigueurs de l'hiver que nous venons de traverser. "Jamais content, hein ?" me lance mon pieux partenaire. D'une cabine téléphonique, je joins Charline, ma Pénélope, lui demandant de trouver quelqu'un pour me récupérer à la gare, car vu le retard que nous avons pris aux frontières, il n'y aura plus un seul RER à mon arrivée à Paris. Elle appelle en urgence mon parrain, seul parisien propriétaire d'une voiture de ma connaissance, qui oublie finalement de la rappeler...

Nous doublons pour la première fois une voiture immatriculée en France. Un 68, nous approcherions nous du Rhin ? Un jeune beur de nationalité française monte dans le car et j'entends au bout de quelques minutes une voix déjà familière lui expliquer que "musulmans, catholiques, notre religion c'est l'amour" et que par conséquent, il faut voter Bayrou. Ces gens là ne s'arrêtent donc jamais. Je finis pendant ce temps "Le paysan de Paris", pour me préparer à mon atterrissage dans la capitale, où je vais prendre une semaine de vacances chez mon amoureuse. J'ai encore beaucoup lu dans ce car, Aragon, Colette, je me remets doucement aux auteurs français, pour m'habituer... Dans ma tête, Brassens chante en boucle depuis des heures "Heureux qui comme Ulysse.Puis, un pont immense, milliers de tonnes d'acier majestueusement posées au dessus du Rhin, puis un petit panneau blanc cerclé de rouge, Strasbourg. Quelques étapes dans l'est français, vers 23 heures nous serons à Paris, et je laisserai derrière moi un petit fragment de ma vie, quelques mois dans une existence, mais qui risqueront de laisser des traces pour longtemps. Arrivé à la gare, une valise dans chaque main, j'aperçois Charline, elle m'attend. Enfin une raison d'être rentré chez moi.




TOME 16 : Pèlerinage

TOME 16 : Pèlerinage

Fédor m'a tellement parlé de vous...

Deux petites choses à propos de ce chapitre :
1- Pour saisir toutes les références littéraires égrenées tout au long du texte, lisez les romans de Dostoïevski.
2- J'ai découvert le principe des notes et renvois, j'en ai légèrement abusé, désolé.

Tout comme certains vont se recueillir à Lourdes, à la Mecque, aux Galeries Lafayette, à St Jacques de Compostelle, devant la maison d'Elvis Presley ou au Père Lachaise, j'ai ressenti le besoin à mon tour d'aller faire un petit pèlerinage, dans un lieu évoqué tant de fois dans ces textes saints qui marquèrent fortement le début de la fin de mon adolescence (1). Cela fait déjà quelques années que je m'étais juré d'aller flaner sur la perspective Nevski, axe principal de la ville de Saint-Petersbourg où se sont déroulées tant de scènes issues des livres de mon seigneur et maître Fiédor Dostoïevski, et m'accouder à la balustrade du pont sur la Fontanka faisait partie des quelques choses à faire obligatoirement avant la fin de mes jours. A vingt et une piges j'ai sûrement encore le temps, mais il serait stupide de ne pas profiter de l'occasion de n'être qu'à huit heures de train de cette mystérieuse cité pour ne pas aller y faire un tour.

Et voici que quelques jours avant mon retour en France -un jeudi soir- alors que je gambergeais tranquillement sur mon matelas pneumatique en attendant le sommeil, une révélation m'est tombée en travers du cerveau, réalisation soudaine de l'urgence de la situation : "Si je n'y vais pas demain, je n'aurai plus jamais l'occasion d'y foutre les pieds ! Le froid est presque terminé, l'eau de la fonte des neiges s'est envolée, et je quitte de toute façon le pays dans dix jours, c'est mon dernier week-end de libre !". Je me suis relevé et ai réglé mon réveil deux heures plus tôt afin de passer à la gare de Leningrad le lendemain matin et d'acheter un billet alller-retour avant de commencer ma journée à l'école. C'est dit, demain, je pars ! A la gare, les gens au guichet n'ont généralement pas envie de perdre leur temps à baragouiner avec des étrangers, on m'avait déjà prévenu, Lisa et Paula en avait fait les frais... Aussi, quand la première guichetière m'a envoyé balader parce que je ne comprenais pas une de ses questions, je ne me suis pas découragé, et je suis passé au guichet d'à côté. Là, je suis tombé sur quelqu'un de sympa, et en quelques minutes, j'avais un billet aller-retour pour Saint-Pétersbourg, départ le soir même, à 1h 30 du matin. Voilà, tout est prêt. Vers onze heures du soir, après que tous mes voisins et voisines m'ont souhaité bon voyage (je suis de retour après demain, ne vous inquiétez pas), je pars en direction de la gare de Leningrad, avec dans mon sac un pull supplémentaire (il paraît qu'il fait froid là-bas), le guide du routard de Fabienne, un goûter pour la soirée et de quoi petit déjeuner en arrivant à "Pitier" comme on dit chez les Russes. Les Français disent "Saint-Pet" mais ça fait Club-Med et les touristes français en Russie m'énervent tellement que j'évite de parler comme eux, déjà que je ne me sens pas tellement à l'aise avec un Guide du Routard planqué dans ma poche... En arrivant à la gare vers minuit et quart (je suis très en avance, mais après les métros ne fonctionnent plus) je me rends compte que j'ai oublié de prendre avec moi l'essentiel ! Je cours chez un bureau de presse, m'achète un carnet, et quelques mètres plus loin un stylo bille bleu... ce coup-ci, j'ai tout ce qu'il me faut. En attendant mon train -plus d'une heure à tuer- je flâne aux alentours de la gare, passe un coup de fil à mon amoureuse puis retourne rapidement dans la gare, parce qu'il commence à faire froid et qu'une bande de jeunes, bourrés comme des ours, essaye de me taxer le peu d'argent que j'ai dans les poches. En même temps, il y a tellement de miliciens autour de la gare que je pense qu'ils ne peuvent pas faire grand chose à qui que ce soit. Enfin bref, l'heure tourne, et le train numéro 048 en direction de Saint-Pétersbourg est entré en gare voie 4. En longeant le train à la recherche de mon wagon, je découvre avec une légère amertume que le train de 1h 30 n'est pas un train couchette mais un train tout à fait ordinaire (quoi qu'issu de la période soviétique, avec faucilles et marteaux dorés tous les soixante centimètres) avec des sièges alignés suffisamment près les uns des autres pour qu'un type d'un mètre quatre-vingt sept comme moi n'ai aucune chance de s'asseoir confortablement. En effet, une fois à ma place, je n'ai d'autre choix que de placer mes genoux derrière mes oreilles pour ne pas déborder de mon siège. Heureusement, je suis du côté de la fenêtre, je pourrais au moins m'écraser contre celle ci si je veux essayer de dormir. Avant le départ, un garçon de mon âge s'assoit à mes cotés. Il s'appelle Vania, et va à Pieter avec quelques amis pour voir le match Moscou / Saint-Pétersbourg qui aura lieu dans la journée de demain. Il est en quatrième année de français à l'université de Moscou, et parle donc ma langue avec autant (voir plus) de facilité que moi. Il a un vocabulaire incroyable, un accent à peine perceptible, mais je dois tout de même lui expliquer que deux jeunes de notre âge n'ont pas besoin de se vouvoyer (en russe le vouvoiement est beaucoup moins protocolaire qu'en français). Il confond également systématiquement les termes "chinois" et "chien", ce dont je me rends compte quand il fait la remarque que "Ce train est vraiment rempli de chiens", et que "Ces touristes chiens sont venus en train de Beijing".

Quand il se lève pour rejoindre ses camarades (le train n'est pas encore parti) je m'endors en sursaut, et il fait déjà jour quand je me réveille. Durant la nuit, on nous a distribué des plateaux comportant un nécessaire de toilette et un petit déjeuner (2). En me remplissant la panse de cet inattendu petit déjeuner, je regarde par la fenêtre et je me dis que la fonte des neiges a l'air de juste terminer, vu les quantités d'eau qui inondent les champs, les routes et les forêts. Cela fait maintenant une heure que je regarde cette forêt défiler à la fenêtre, et c'est sûrement la première fois que j'ai l'occasion de voir une forêt de bouleaux inondée, pleine de roseaux et à priori plus grande que la Belgique. Puis je réalise que le responsable de wagon, tapi dans son minuscule compartiment est un homme (les diéjournas sont généralement des femmes) et surtout qu'il vend des boissons chaudes (3)! Je vais pouvoir me boire un thé, ou un café, trois grandes tasses de thé, finalement. Quand j'explique à Vania qu'en France on a personne dans le train pour nous distribuer des repas ou servir du thé, il me dit que c'est normal parce que c'est un tout petit pays ou les gens ne passent pas cinq jours dans le train pour aller d'une ville à l'autre. Il n'a pas tort, le bougre, n'empêche que la SNCF devrait en prendre de la graine. Je ne sais pas combien de cigarettes j'aurai fumé en regardant des forêts de bouleaux inondées coincé dans le petit espace fumeur entre les wagons, mais ce n'est pas vraiment pire que Vania et ses copains qui se seront enfilé une pinte chacun avant que ne sonnent neuf heures... Un instant les arbres s'écartent et nous laissent voir un lac encore partiellement gelé, il fait froid ici. Puis petit à petit apparaissent quelques datchas, puis de loin en loin d'immenses usines désaffectées, vieux restes de l'URSS, encore impressionnantes malgré la rouille, qui nous préviennent que dans peu de temps, nous atteindrons Pétersbourg. Puis nous pénétrons la zone industrielle, et si Petersbourg est réputée comme une des plus belles villes du monde, ses banlieues ne valent pas vraiment le coup d'œil ; de nombreux trains sont arrêtés sur les voies de garage, la gare ne doit pas être loin. Je vois un immense train-citerne dont chaque wagon est estampillé Baltika, une des bières les plus bues en Russie - il faut croire que les Petersbourgeois picolent autant que les Moscovites. Il a l'air de vraiment faire froid dehors, il faut dire qu'on a fait 650 kilomètres tout droit vers le nord pendant la nuit, j'ai bien fait de prendre ma doudoune. La météo a prévu quelque chose comme 4 degrés aujourd'hui, il faudra faire avec. Les trains sont de plus en plus nombreux sur les voies, les usines font place à des immeubles, et nous voici en gare de Pétersbourg. Je dis au revoir à Vania et me précipite au dehors de la gare - me voici sur la place Vostania, qui coupe en deux la perspective Nevski.

Ca y est, j'y suis ! Je me sens un peu comme un gamin qui arriverait à Disneyland, j'ai les yeux grands ouverts, je regarde tout avec émerveillement. J'aurai du mal à faire croire à qui que ce soit que je ne suis pas un touriste. Première constatation : nous ne sommes pas à Moscou. Ici les rues n'ont rien à voir, cette ville est bien plus ancienne, plus propre, plus riche... La plus européenne des villes de Russie ne porte pas comme sa capitale les marques de l'URSS, ni celles de la crise. Car si cette ville est plus riche, elle a également caché tout ce qui pourrait dans ses rues trahir la pauvreté qui plombe Moscou, pour impressionner les participants au G8 qui s'est déroulé il y a peu de temps de ça... Pas de kiosque à chaque coin de rue, pas de mamies vendant tout et n'importe quoi à la sauvette, personne ne faisant la manche... Pétersbourg est au premier regard une ville magnifique, et les Petersbourgeois l'ont compris, Petersbourg est donc une ville touristique, probablement la seule en Russie à attirer tant de monde en ses murs. Après avoir demandé mon chemin à un passant, je m'engage sur Nevski, en direction de la Néva, le fleuve qui à Saint-Pétersbourg se jette dans le golfe de Suède. Moi qui adore me promener en ville le nez en l'air et dévisager les bâtiments un à un, je suis aux anges et pendant quelques instants je me prends pour le rêveur des "Nuits Blanches"(4) dont les façades des immeubles petersbourgeois sont les meilleurs amies, et qui ne se lasse jamais de les contempler... Je le comprends le bougre, en seulement trois minutes Paris vient de perdre une place dans ma liste des plus jolies villes où se balader. Je flâne tant que je peux (si tant est qu'il est possible de se forcer à flâner) découvre à chaque coin de rue de nouvelles merveilles, Gostini Dvor, les églises, les bâtiments de l'époque de l'Empire... Il est remarquable que malgré l'absence totale d'unité architecturale, aucun bâtiment, immeuble ou palais ne semble être superflu, tout s'accorde à merveille ! En arrivant au bout de la perspective, j'ai le choix entre, à gauche le Palais de l'Amirauté et à droite, après une arche, la Place du Palais où se trouvent le Palais d'Hiver où vécu Catherine II et le Musée de l'Hermitage. Comme vous commencez à le saisir, cette ville est pleine de palais. En me reposant quelques minutes devant l'Amirauté (cela fait déjà deux heures que je marche), je songe à tout plaquer et chercher un boulot ici. D'autres que moi seraient aussi sur le point de craquer ! Je me dirige alors doucement vers le Pont du Palais qui franchit la Grande Neva, que je traverse en craignant d'y croiser mon "sosie maléfique" (4)... Tout va bien, j'arrive sans encombres sur l'Ile Vassilievski(5). Je m'engage sur la Grande Perspective puis sur la sixième de "Lignes" perpendiculaires à celle-ci. C'est une magnifique rue piétonne, très empruntée bien qu'assez étroite comparée aux autre rues. On est vraiment loin de Moscou, des musiciens jouent tout le long de la rue, et je m'assois près de trois grand-mères qui chantent accompagnées d'un accordéoniste vieux comme les robes de ses trois compères. Je déjeune de blinis au poulet et de café noir achetés a une Caucasienne (6) d'une extrême gentillesse mais incroyablement laide, dont toutes les dents sont en or. Pendant que je mange assis sur mon banc, un gamin se planque dans la fontaine (vide) en face de moi et fait mine de me tirer dessus avec un pistolet imaginaire. Je reçois la balle droit au coeur et agonise en pleine rue ; les passants me regardent de travers... Le gamin se fait attraper par sa mère et reçoit une taloche dont il se souviendra au moins les dix prochaines minutes. Sa mère s'éloigne en le traînant par le col tandis qu'il me fait un dernier coucou de la main.

Cela fait maintenant quatre heures que je marche dans les rues, et je commence sérieusement à geler. Je me réfugie dans un café face à une Baltika. J'ai encore de nombreuses heures devant moi, et beaucoup de choses à voir, autant me reposer un moment et prendre quelques forces J'essaye de planquer le guide du routard qu'on m'a prêté, je ne veux pas passer pour un touriste... Comme j'ai l'habitude de commander une bière en russe, je parle avec suffisamment d'aisance pour essayer de faire croire que je suis dans le coin depuis un certain temps. Le fait d'être reconnu comme touriste, en plus de me gêner pour une raison qui d'ailleurs m'échappe est surtout très handicapant face aux miliciens, encore plus nombreux qu'à Moscou (7) qui comme dans toute la Russie ont tendance à arrondir leurs fins de mois en faisant les poches des Européens qui s'aventurent dans leur ville. A la table d'à-côté, ça parle football, et à priori l'équipe Pétersbourgeoise est en train de se prendre une sacrée tripotée... Après leur avoir demandé le score par curiosité, je finis par sympathiser avec les quatre quinquagénaires voisins, qui m'invitent à leur table où trônent plusieurs carafons de vodka. Pendant plus d'une heure, dans une ambiance chaleureuse, nous parlons de tout et de rien : Moscou, Pétersbourg, Jean Gabin, Depardieu... Les vins français et la vodka russe, Le Pen et Dostoïevski, le Mystère Russe qu'ils savent insondable pour les occidentaux, en russe et parfois en anglais (un seul d'entre eux le parle) ils ont l'air aussi intéressés de mon avis que je suis du leur. Mine de rien le niveau de vodka dans la carafe en face de moi a rudement diminué. Quand je remets mon sac sur le dos, ils m'invitent à venir les voir ici même lors de mon prochain passage chez eux ; ils passent leur vie autour de cette table, à l'entrée de ce bar, et je serai toujours le bienvenu. Voilà qui fait chaud au cœur !

Je dois avouer que je suis plutôt euphorique en quittant la sixième ligne, euphorique et un peu brumeux aussi. Je traverse maintenant la petite Néva vers une île dont j'ignore le nom (8) et me laisse balader au gré des rues les plus attrayantes, des immeubles et palais qui chatouillent ma curiosité. Je passe près du stade où a lieu le match, et tout le quartier est bouclé par les services de police pétersbourgeois et moscovites. C'est pas le moment de se faire remarquer. Je marche à un bon rythme, et pendant longtemps, le nez en l'air (je trébuche à plusieurs reprises sur des trottoirs, me cogne à deux ou trois personnes), jusqu'à me trouver tout à fait perdu. Je demande mon chemin à une jeune maman qui s'avère être une française vivant dans le quartier. Elle m'indique la route jusqu'à l'île St Pierre et Paul, ou se trouvent l'église et la forteresse du même nom. Je flâne dans ce lieu impressionnant puis m'assois sur un ancien embarcadère au bord de la Neva. D'ici on voit l'Ermitage, l'Amirauté, des quais à perte de vue, des milliers de bâtiment plus beaux les uns que les autres. Quand je retraverse les ponts sur les différents affluents de la Néva, l'incroyable vent qui ébouriffe mes cheveux pourtant courts (Stella me les a coupés il n'y a pas si longtemps) me rappelle que le Golfe de Finlande est tout proche, on croit l'apercevoir depuis certains ponts. Si j'avais le temps et le courage, je pousserai bien jusqu'à là, mais d'ici il faudrait traverser la zone industrielle et portuaire, pour finalement atterrir dans un port marchand. C'est dommage, dans une île plus au nord, des parcs s'étendent jusqu'à ce golfe.

Je vais faire un tour dans les jardins de l'Ermitage, mais à quelques minutes près j'arrive après la fermeture de la billetterie et dois donc me contenter d'une promenade autour du musée, sans pouvoir y mettre les pieds. Je m'assois face au Palais d'Hiver et repars vers la perspective Nevski afin de bifurquer vers les canaux, et marcher le long de la Fontanka (9) au bord de laquelle tant d'aventures se sont déjà déroulées sous mes yeux. Je connais déjà cette ville par tout ce que j'ai lu, en me promenant je ne fais que raviver des souvenirs, que mettre des images sur les mots... En arrivant près dudit canal, le froid et la fatigue aidant (il ne fait plus que quatre ou cinq degrés, et je me promène depuis vraiment longtemps), je sens la magie opérer, les souvenirs créés de toute pièce dans mon esprit par un auteur génial prennent forme, et je sombre petit à petit dans l'état d'esprit du rêveur (celui des "Nuits blanches",) et j'observe alors un changement dans la physionomie des gens autour de moi. Un certain Goliadkine m'attrape par le bras, et me dit qu'un complot se joue contre lui; il accuse son double, qui soit disant essaie prendre sa place et de lui faire perdre la raison, il m'explique qu'il y a des choses qui sont comme ceci et cela, je ne comprends plus ce qu'il me dit, il radote. Il est effrayant, ridicule, il court maintenant, il est déjà loin, il a tant d'affaires à régler ! Quand j'entre dans un café pour me réchauffer, me reposer, j'aperçois le jeune Dolgorouki. Il porte un nom de prince, mais c'est Dolgorouki tout court, son nom n'est qu'un vulgaire homonyme qui ne fait que lui rappeler son extraction pour le moins douteuse. Il braille à qui mieux-mieux contre les pères, l'autorité, la noblesse, l'Etat ! Il semble brûler de fièvre comme Goliadkine ; comme Goliadkine c'est après le monde entier qu'il en veut. Au fond du café est assis un étudiant nommé Raskolnikov, les cheveux ébouriffés, les yeux brillants, tremblant de tous ses membres, mal à l'aise face à son verre. Dans la poche de sa veste repose la fausse tabatière en argent finement emballée et durement ficelée grâce à laquelle il piégera demain la vieille usurière de la maison jaune à quelques rues d'ici. Il sait comment dans quelques heures il volera la hache dans la cuisine de sa logeuse, comment il la dissimulera sous son manteau... Il sait très bien comment tout cela finira. Je garde les yeux braqués au fond de mon chocolat chaud, je ne voudrais pas que mon regard rencontre le sien, de peur d'attirer son attention. Sans s'en rendre compte, il plonge déjà petit à petit dans la folie, si chère à son créateur ! Courbant l'échine, Alexandre Ivanovitch longe le café et oblique vers quelque ruelle perpendiculaire, ou il a vite fait de disparaître. Il y a encore quelques mois, il était précepteur chez une riche famille locale vivant princièrement dans un hôtel bourgeois d'une ville d'eau allemande. Pour les beaux yeux de Pauline Alexandrovna, il se serait jeté du haut de la pointe de Schlangenberg. Après s'être ruiné au jeu dans de rutilants casinos, il a été valet, avant de n'être finalement plus personne. Puis un groupe de supporters pétersbourgeois entre en beuglant dans le bar et rompt le charme. Bien que l'heure avance, le soleil est encore haut; je paye la note et reprend ma route.

Je réessaye un long moment de me perdre, sans succès : contrairement à Moscou, Pieter est une ville extrêmement touristique, des plans de quartier et des poteaux indicateurs sont plantés à chaque carrefour tandis que dans la capitale, il est souvent difficile de savoir le nom de la rue où l'on se trouve... De plus, le centre et ses alentours sont surtout constitués de "perspectives", rues si droites et si larges qu'on peut à chaque endroit en admirer les deux extrémités. Pas besoin d'avoir un sens de l'orientation surdéveloppé pour savoir en permanence où l'on se trouve. Je suis content de ne pas avoir pris avec moi un appareil photo... J'aurais eu à photographier chaque rue, chaque bâtiment, statue, fenêtre, car cette ville regorge de lieux non communs (10). En tout cas, Saint-Pétersbourg reste la capitale historique et culturelle de la Sainte Russie, et c'est ici que sont la plupart des trésors architecturaux, artistiques, voir pécuniers, vu le niveau de vie moyen qui me paraît bien plus élevé qu'à Moscou.

J'attends maintenant ma commande dans un bar qui fût très sympathique jusqu'à l'arrivée sur scène d'un "guitariste romantique" qui nous joue, accompagné d'une talentueuse boîte à rythme toutes les soupes mélodramatiques de ces dix dernières années. Sa reprise mielleuse de "Volare" restera à jamais gravé dans ma mémoire. L'assistance adore... les Pétersbourgeois ne sont pas plus adeptes du bon goût que les Moscovites à ce que je vois. En tout cas, bien que servies en petites portions, leurs salades sont succulentes (11). Un point pour eux. Bien qu'on n'en soit qu'aux premiers jours du printemps, il fait encore grand jour à neuf heures passées, je n'avais jamais été aussi loin dans le nord (12). J'aimerais vraiment être ici pour les nuits blanches, quand autour du solstice d'été le soleil ne se couche pas pendant quelques jours... ça sera pour la prochaine fois.

Au retour, j'ai une couchette ! Elle est plus confortable que mon lit à l'obchaga, mais située à 1m 60 du sol, et moins large que mes épaules et seulement longue d'un mètre quatre-vingts. Couché en chien de fusil pour y rentrer en entier, j'ai les genoux qui dépassent, je devrai faire attention à ne pas me viander... Dans le compartiment fumeur, je discute avec un jeune de mon âge pas étonné que j'ai fait l'aller-retour pour me promener un peu ; selon lui, Pieter est le meilleur endroit du monde pour une petite ballade...

(1) qui Dieu merci! n'est pas encore tout à fait terminée
(2)Très exactement, nous avons dans ce plateau : deux centimètres de fil dentaire fixé à un manche en plastique ; une brosse à dents et son tube de dentifrice ; un peigne ; un savon ; deux lingettes imbibées pour la peau ; une savonnette ; un couteau, une fourchette et une petite cuillère ; une plaque de chocolat ; deux verres d'eau et un verre de jus de pomme ; un muffin à la confiture ; deux petits pains ; une plaquette de beurre ; 40 grammes de mortadelle ; un sachet de cacahuètes ; un yaourt ; deux Vaches qui rie russes et une serviette en papier
(3) thé nature 10 rb
rondelle de citron 3 rb
sucre 4 rb
café 13 rb
biscuits 14 rb
(4) voir premier point de l'introduction
(5) la ville de Saint-Pétersbourg compte 44 îles, ainsi que 90 rivières et canaux
(6) il y a l'air d'avoir beaucoup moins de Caucasiens dans cette ville
(7) après renseignements j'ai appris que Pétersbourg est la ville la plus policée d'Europe
(8) il semblerait que ce soit l'île Petrogradski
(9) un des principaux canaux, qui coupe la perspective Nevski
(10) désolé...
(11) laitue, avocats, fromage de chèvre, langue de boeuf avec beaucoup de moutarde dans la sauce
(12) Saint Pétersbourg est la "grande ville (13)" la plus au nord du monde
(13) on y compte 4 500 000 d'habitants, au 60° parallèle


dimanche 11 janvier 2009

TOME 15 : Les aujourd'hui qui chantent

TOME 15 : Les aujourd'hui qui chantent
lettre du 14 avril 2007


Découvrez Lisa Ekdahl!


-Si la logique des phrases est encore plus obscure que d'habitude, c'est parce que j'ai encore une sacrée fièvre-

Certains croiront que je fais une fixette sur le printemps, que je démarre toujours par là, mais soyons honnêtes, l'hiver a été long, et je dois avouer que nous avons vu venir les beaux jours avec un certain soulagement. Au début c'était plus un pressentiment qu'un véritable changement, le soleil est arrivé avant la chaleur... Puis quelques détails ont commencé à me mettre la puce à l'oreille, des trucs insignifiants à première vue mais annonçant sans équivoque l'arrivée des lendemains qui chantent. Ça a commencé quand je me suis aperçu qu'au bout de Tvierskaïa, vers le manège et la Place Rouge, les Toi-toi se sont mis à réapparaître, et à gagner le reste de la ville. Les Toi-toi, ce sont ces toilettes en plastique comme on en voit aux abords des chantiers, ou dans quelques festivals, et on en voyait à chaque coin de rue jusqu'à l'arrivée du froid sibérien. Si ces Toi-toi avaient disparu le temps de l'hiver (on ne s'attardait de toute façon pas dans les rues, et par -25, il était impossible aux gardiens de Toi-toi de survivre à des journées de travail en plein air) ils sont, durant les beaux jours, indispensables à la ville de Moscou, considérant l'amour indescriptible des Russes pour les grandes ballades en ville et dans les parcs, des heures durant et une bière à la main. Une dans chaque main, allez...

D'autre détails ne trompaient pas: les musiciens de Teatralnaïa sont revenus peu à peu (en fait de musiciens de rues, ce sont sept ou huit violonistes, quatre altistes, deux violoncellistes et un contrebassiste qui jouent ensemble des "tubes" de la musique classique dans un passage souterrain à la sortie du métro, juste à côté de leur voisin, revenu quelques jours plus tard, qui vend sur des tréteaux ses œuvres d'art, pour la plupart des femmes nues peintes à la bombe dorée. Puis les vendeuses de souvenirs à la sauvette ont remis le nez dehors, les vendeurs de gants et de bonnets ont liquidé leurs stocks et vendent maintenant des lunettes de soleil (pour la plupart des Dior, Chanel ou D&G à 50 roubles), et surtout, les rues sont pleines de promeneurs. Et j'en fais partie. Plus de doute, les beaux jours sont là ! Le soleil brille depuis deux semaines, la température bat des records en frisant parfois les douze degrés (mais ça reste de l'ordre de l'exceptionnel) la neige a entièrement fondue... Nous pouvons de nouveau nous balader, voir la ville, lézarder sur les bancs des jardins du Kremlin en léchant des glaces, ôter nos manteaux (pas après 18 h, ne poussons pas mémères dans les orties), jouer à faire semblant de bronzer, jurer contre les Russes qui ne connaissent pas le principe du café en terrasse, nous réfugier au chaud après s'être rendus compte qu'on avait surestimé la température...

En partant rue Sadovaïa à la recherche de la maison où se déroule pour une grande partie "Le Maître et Marguerite" de Boulgakov que Fab et moi avons dévoré dernièrement, nous sommes tombés sur de charmants quartiers qui nous étaient jusqu'ici inconnus. Près du centre, mais loin des grands axes, nous avons découvert des enfilements de ravissantes petites rues, de places et de squares, choses que nous n'avions jamais vu a Moscou, ou nous connaissons plutôt les grandes avenues, les perspectives, les ignobles anneaux périphériques, les rues débordantes de voitures et les places grandes comme vingt-trois terrains de football. Voilà qui est plus reposant. C'était une des premières ballades des beaux jours, nous avions quelques heures à tuer avec Fanny et Fab avant de retrouver Juan qui passait par Moscou le temps d'un week-end, envoyé par sa boîte pour faire un boulot dont je n'ai pas exactement compris de quoi il s'agissait. Des histoires de programmations de caisses de supermarché ou quelque chose dans ce goût là, bref, rien de bien palpitant. Nous devions retrouver Juan à Chistie Proudi, dans l'entrée de la station de métro. Pendant que nous l'attendions, une bagarre entre jeunes bourrés à commencé à trois pas de nous, une engueulade entre un mec et une fille qui a tourné en pugilat général, même si l'essentiel des coups a été échangé par deux jeunes, qui se sont mis des roustes d'une violence passablement indescriptible. Nous avons continué d'attendre Juan à deux pas de la mêlée, en râlant pour qu'il se dépêche, et conjecturant soixante hypothèses différentes sur les causes de son retard. Puis par un coup de fil nous avons finalement appris qu'il nous attendait dehors : en voyant la bagarre en arrivant à la station, il avait pris le large tellement vite qu'on ne l'avait pas vu passer. En sortant, nous avons eu une étrange surprise : pour une raison qui nous est encore inconnue, tous les punks, gothiques, skinheads, hard-rockeurs, métalleux et crânes rasés, chargés jusqu'aux yeux d'alcool et de produits divers s'étaient donnés rendez vous dans le parc, qui bien que de taille conséquente débordait de jeunes défoncés en Doc Marten's. Nous sommes partis à la recherche de "l'auberge de jeunesse" de Juan, qui s'est avérée être un appartement au quatrième étage d'un immeuble dans une arrière cour mal éclairée, où cinq lits étaient loués à la nuit. Pendant que Juan entrait poser ses affaires, nous avons attendu sur le palier -sentant la pisse de chat comme ça ne devrait pas être permis- en essayant d'apercevoir l'intérieur de l'appartement. L'ameublement, la tapisserie, l'odeur de chat et la tête du propriétaire des lieux semblant sortir tout droit de Starky et Hutsh nous permirent de classer les lieux dans la même catégorie que "l'appartement de mon arrière-grand-mère qui habite Melun". À peu près. Puis nous sommes repartis vers le centre, pour nous retrouver tous les quatre au FAQ, pour se refaire une soirée entre nous, comme nous n'en avions pas fait depuis un certain temps. Après quelques heures, nous partons, en achetant bien sur une bière chacun au premier kiosque que nous avons croisé comme chaque promeneur moscovite qui se respecte, nous sommes partis faire un tour sur la Place Rouge, le Manège, tous ces jolis coins que Juan n'avait pas vu depuis quelques mois, et nous nous sommes séparés afin de rentrer dans nos chez-nous respectifs avant les heures de fermeture des portes (nous avons chez nous un nouveau garde aussi hideux que désagréable, qui nous déteste presque autant que nous le haïssons et qui est très tatillon sur les horaires...) en espérant que Juan ne se ferait pas écharper entre le métro et son auberge. Je l'ai revu deux jours après, il était toujours vivant, il n'est donc pas vecteur de poisse en permanence, il doit s'accorder des pauses de temps en temps. Nous sommes allés -les quatre français- boire un chocolat chaud et grignoter des petites pâtisseries au salon de thé du Café Pouchkine, établissement cité quelques années auparavant par un grand homme de lettres français qui vantait son chocolat. Le lieu est incroyable, en passant la porte, nous sommes accueillis par une petite soubrette dans une salle qui pourrait se trouver quelque part dans le palais de Versailles. Voici un joli voyage dans le temps, en passant la porte nous avons quitté le XXI° siècle russe pour nous retrouver tout à coup à la cour de Louis XIV, dans une salle richement décorée, aux plafonds sculptés, aux moulures dorées, où serveurs et serveuses sont des soubrettes et des valets... Dans un endroit si huppé, le chocolat chaud reste tout de même moins cher que dans n'importe quel bar parisien, et nous avons même les moyens de nous offrir des petits fours et des sablés, que nous dégustons le petit doigt en l'air, en jouant les précieux. En partant à la recherche des toilettes, qui m'ont été indiqués par un valet en livrée et une dame en habits de cour, je suis tombé dans la salle de restaurant, et je n'aurais absolument pas été étonné d'y croiser Louis XVI ou un quelconque monarque décédé depuis plus de deux siècles : la salle est encore plus richement décorée, une version encore plus rococo de la chambre du roi, où les serveuses portent des robes de reines, où un orchestre d'hommes et de femmes en perruques poudrées joue sur des harpes et des violes de gambe une musique nous plongeant dans l'ambiance... Incroyable. Comme Juan est un amoureux de ce style, et qu'il a adoré le film Marie-Antoinette, je l'envoie se paumer à son tour aux abords de la salle de restaurant. Je dois préciser maintenant que Juan est un branché sud-américain aussi précieux et homosexuel qu'il est permis de l'être, aussi, personne n'a été étonné quand il est revenu tout enthousiasmé nous annoncer que le jour où il se marierait avec un prince charmant, la cérémonie aurait lieu ici...
Nous sommes ensuite repassé une dernière fois près de la Place Rouge, et il est reparti vers chez lui, prêt à prendre son avion le lendemain...
Aux dernières nouvelles, il a réussi cette semaine à aller jusqu'à Londres sans y laisser sa peau, alors qu'il y a tout de même une mer à traverser... La mauvue a peut-être finie de s'acharner sur lui, qui sait ? Permettez moi tout de même d'en douter...
En plus de Juan, nous avons eu droit à la visite de Stine et Rasmus, deux professeurs de l'école de cirque de Copenhague. Je dis nous parce que depuis quelques temps je suis plus ou moins considéré comme un Danois à part entière, comme une Danoise même, de temps en temps. Enfin bref, ils avaient été prévenus qu'un inconnu s'était fondu au groupe de leurs élèves, et qu'il fallait qu'ils me dorlotent au même titre que leurs véritables élèves, ce qu'ils ont fait d'une manière charmante. Ils nous ont emmenés au vieux cirque de Tsvietnoï Boulvar où je n'avais encore jamais mis les pieds, payé des pop-corn, et nous leurs avons joué une version chorégraphiée "à la Russe" de "All My Loving" des Beatles. Bref, pour eux un petit moment en famille où j'ai été agréablement invité...

Comme un bonheur n'arrive jamais seul mais qu'il faut toujours compenser les bonnes choses par des emmerdes, le moral revenant, c'est le physique qui a vacillé et la tendinite tant redoutée s'est abattue sur moi comme la vérole sur le bas clergé. Les tendinites au coude, épaule ou poignets sont au jongleur ce que le coup de grisou est au mineur de fond, en moins dramatique, je vous l'accorde. C'est quelque chose qui arrive toujours au petit bonheur la chance, sans crier gare, et surtout généralement sans raison apparente... N'étant couvert par aucune sécurité sociale ou assurance maladie, j'ai décidé de jouer la carte de l'économie, et puisque les centres médicaux européens sont au-dessus de mes moyens, j'ai fait l'expérience des Hôpitaux Russes, avec, je dois l'avouer, une certaine appréhension. J'ai décidé de faire fi des "Ils te font une piqûre et ils te filent le tétanos" ou "ils te laisseront crever dans la salle d'attente si tu ne paye pas un bakchich" et de me rendre à la Polyclinique publique la plus proche de chez moi. Grâce à l'aide de Tania, la responsable de toutes les choses qui se passent mal dans l'école, j'ai réussi à obtenir les horaires des consultations ouvertes du chirurgien Sergueï Ivanovitch Gorbatsienko, spécialiste en traumatologies diverses. Vers 16 h, je franchis l'entrée de l'Hôpital, pour arriver dans un hall d'accueil quasiment présentable, mais entièrement vide d'employés... Je passe les tourniquets et me dirige vers le tableau des présences à la recherche du fameux chirurgien, finis par le trouver après cinq bonnes minutes et me dirige vers le sixième étage où se déroulent les consultations. En grimpant les escaliers, en passant les paliers, je me rends rapidement compte que le hall quasi-présentable n'est qu'une couverture, et qu'en le quittant, je laissais derrière moi le presque XXI° siècle pour plonger curieux mais sur mes gardes dans la première moitié des années cinquante. Deuxième voyage dans le temps de la semaine ! Arrivé au sixième étage, je suis bleu, les veines du front prêtes à péter d'avoir grimpé les trois derniers étages en apnée pour ne pas respirer les miasmes s'échappant des services des maladies infectieuses des troisième, quatrième et cinquième étages. Arrivé devant le cabinet, je m'assois dans la salle d'attente, et suis reçu dix minutes plus tard par un médecin ressemblant à s'y méprendre à mon Grand-Père Forest, qui je dois le préciser est octogénaire depuis déjà quelques temps. A ce moment me revient en mémoire ce petit détail : le concept de retraite est ici tellement flou et symbolique que les gens travaillent jusqu'à tant qu'ils n'en puissent vraiment plus... Si le chirurgien n'a sans doute pas encore célébré ses quatre-vingts printemps, et s'il est sûrement plus jeune que ma professeur de danse classique, je mettrai ma main à couper qu'il a plus de soixante-dix ans (vu l'état de mon coude au moment où je rentre dans cette pièce, je n'ai de toute façon pas grand-chose à perdre). Quand il me fait pénétrer dans le cabinet (qui lui ressemble à s'y méprendre à une chambre de cité-U), je me rends compte que ce médecin travaille sûrement avec le même matériel, sur le même bureau avec le même téléphone à cadran rotatif depuis le jour ou il a quitté l'Université il y a plus de quarante ans. D'un coté, je suis un peu rassuré : ce docteur a une mine rassurante, et on dit qu'ici les vieux médecins sont bien meilleurs que les jeunes, puisqu'ils ont été formés à la grande époque de l'URSS, au temps où les universités russes étaient parmi les meilleures du monde, quand on ne pouvait pas encore y acheter son diplôme pour quelques milliers de dollars (je connais un type qui paye $1000 par an pour avoir ses examens et diplômes sans mettre les pieds à la fac de l'année scolaire).

La consultation dura plus d'une heure. Ce médecin fait partie de ceux qui posent une question, vous auscultent quelques secondes puis écrivent un roman sur votre carnet de santé, et parlent le moins possible. Ça ne me pose pas de problème majeur, un médecin bavard uniquement russophone m'aurait mis dans l'embarras. Après plusieurs examens (durant lequel je découvre que canal carpien se dit pareil en français et en russe, et ou j'apprends avec soulagement que le mien ne pose pas de problème), il en arrive à la conclusion que j'ai une inflammation des tendons tricipitaux, ce dont j'étais déjà intimement persuadé. J'aurais tout de même conservé de mon passage sur les bancs des amphis de médecine une assez bonne connaissance de l'anatomie ! Il me regarde d'un drôle d'air quand je lui dis que je ne peux pas me permettre de m'arrêter pendant deux semaines (cette entrevue s'est déroulée deux semaines et deux jours avant mon départ), râle un coup contre les Circassiens qui ne veulent jamais s'arrêter (je ne suis pas le premier élève de l'école à passer le voir) et finit par me dire que je pourrais continuer à bosser si on emploie la manière forte. Il me tend un petit livret de santé avec une ordonnance pour des ampoules que je dois acheter pour des injections intra-articulaires qu'il me fera dans la semaine. Avant de partir, il m'entraîne dans son laboratoire et prépare lui même une solution anti-inflammatoire dont il remplit un pot de confiture qu'il me tend. Ceci est à priori bien plus efficace que les pommades qu'on trouve dans le commerce, et c'est offert par la maison. En quittant le cabinet, je redescends les étages -sans respirer pour éviter de choper la tuberculose, assez à la mode dans la région ces derniers mois- et retraverse un hall d'entrée vide, afin de regagner la rue et le presque XXI° siècle.

A première vue, les Hôpitaux publics sont donc gratuits. J'ai quelques doutes sur le chemin du retour, mais personne ne m'a rien demandé, rien dit non plus... Je me félicite d'avoir économisé les 70€ qu'aurait coûtée une consultation au centre médical européen, ou les 100$ demandés à l'Hôpital américain. Quand je reviens trois jours plus tard avec les ampoules, j'apprends que les soins sont payants, mais comme je ne me suis pas enregistré à l'entrée, personne ne devrait rien me réclamer. Le médecin m'avertit que l'injection coûtera 1000 Rb, en comptant le prix des aiguilles, de l'anesthésie, de la seringue, et du soin. Il ajoute qu'il sait que les étudiants, Russes comme étrangers, sont toujours dans des galères financières, et que si je lui refile 400 Rb, il me signera un laissez-passer pour la caisse, afin que je n'ai rien à régler à l'Hôpital. Il me dit finalement de ne rien lui payer, je lui filerai 500 Rb après la dernière consultation et tout ira pour le mieux. Ce médecin est vraiment un type adorable, et pour la première fois, je vais enfin participer réellement à l'incroyable économie souterraine Moscovite en versant amicalement des pots-de-vin à un praticien. Il m'explique en fait qu'il touchera la même somme si je paye 2000 Rb à l'administration ou 500 Rb directement dans sa poche. Puis il râle un peu, me dit clairement que si l'URSS avait ses mauvais côtés, au moins les soins étaient gratuits, et il avait les moyens de travailler dans de bonnes conditions... Puis arrive le charmant moment de l'injection, directement dans l'articulation. Il mélange dans une seringue (propre, stérile, sortie du sachet plastique scellé) l'anesthésiant et les produits qui devraient permettre à mon coude de se rétablir. Même avec anesthésiant, une injection dans l'articulation, contre les tendons, c'est loin d'être agréable. J'irais jusqu'à dire vraiment douloureux. L'anesthésie ne fait vraiment son effet que durant mon chemin de retour à la maison. Et là, la douleur disparaissant et ma main commençant à ne plus être entièrement sous contrôle, je découvre le côté comique d'une anesthésie du coude : je perds petit à petit le contrôle de mon bras, ma main se ferme toute seule, mon coude se tend parfois de manière totalement inattendue, et il me fallut finalement plusieurs minutes de bataille intensive pour parvenir à sortir mon portefeuille de ma poche quand j'ai voulu acheter mes Gauloises au kiosque en bas de chez moi. Je ne vous raconte pas la difficulté avec laquelle j'ai finalement ouvert la porte de ma chambre, verrouillée à double tour par une serrure déjà habituellement capricieuse. Puis l'anesthésie s'est terminée et la douleur reprenant le dessus, le côté ludique a rapidement disparu. Quand une semaine après je suis revenu pour une seconde injection de Dispropan, le médecin se souvenait encore de mon prénom, et je lui ai remis les 500 Rb pendant qu'il inspectait l'énorme bleu qui se trouvait au creux de mon coude, qui bien que d'une couleur peu ragoûtante est totalement indolore. Pour cette injection, il m'a fait l'anesthésie quelques minutes avant d'introduire son aiguille tout au fond de mon articulation - c'est fou à quel point une seringue peut s'infiltrer profondément dans une capsule articulaire. Pour le retour, j'avais tout prévu, et mon portefeuille et mes clefs étaient dans une poche atteignable de la main gauche, je n'ai pas eu à me ridiculiser à la caisse du supermarché pour trouver mon argent.

Mon bleu a pas mal évolué cette dernière semaine, et si je ne ressens plus aucune douleur dans le coude (ni de la tendinite, ni de l'injection) il continue de changer de couleur au gré de mes activités. Au repos, il est d'un rouge violacé, mais dès que je jongle, il oscille entre le vert, le jaune et le bleu marine... L'important c'est que je peux de nouveau m'entraîner sans serrer les dents et m'enduire de FastumGel anti-inflammatoire, mon coude est passablement laid mais fonctionne à merveille au niveau de mes articulations, je préfère miser sur le bon fonctionnement que sur l'esthétique...

Avec la fièvre que je me tape, je ferais mieux de me mettre au lit.

TOME 14 : La tête dans les nuages et les pieds dans l'eau

TOME 14 :
La tête dans les nuages et les pieds dans l'eau

lettre du 13 mars 2007

-Tout ceci est un peu décousu-

Les Russes avaient raison sur un point : je crois que l'hiver est fini, sur ce coup, ils n'avaient pas tort. Par contre ils se sont complètement gourés dans leurs annonces, car si l'hiver "pour de vrai" que nous venons d'endurer est bel et bien fini, il me paraît prématuré de parler de printemps. On voit plutôt un automne assez moche, en fait, les températures sont "douces" si on s'en réfère à notre nouvelle échelle (de moins cinq à zéro, souvent même un ou deux degrés au-dessus de zéro), il neige en permanence une affreuse neige lourde et mouillée, chaude, qui ne tient pas sur le sol et fond instantanément sous le poids des gaz d'échappement. En parlant de neige, voici venu le temps de la fonte ! Celle qui recouvrait les routes et les trottoirs a presque entièrement fondu, tandis que les énormes tas remblayés à chaque coin de rue commencent à prendre une teinte gris-marron et menacent de se liquéfier d'un moment à l'autre. Seule, la neige des parcs, de squares, des pelouses et des jardins reste encore plus ou moins présentable. Près des lieux de passage, elle fond déjà, laissant s'échapper des litres de boue venant se mélanger à la neige sale et fondante, grise de pollution pour engloutir les rues d'une ville où les égouts sont quasiment inexistants. On compte en effet une moyenne d'une bouche d'égout tous les cinq cents mètres, dans des rues pleines de nids de poules qui n'attendent qu'à se remplir... Nous pataugeons depuis maintenant près d'une semaine ! Si il n'était pas évident de se promener quand le thermomètre indiquait moins vingt, il devient maintenant vraiment difficile de mettre un pied dehors, et nous ruinons chaussures et pantalons à un rythme effréné à force de plonger dans des flaques qui nous trempent jusqu'aux chevilles. Autant dire que si on a loupé la grande dépression d'hiver (l'hiver a quand même été plutôt marrant), nous entrons de plain-pied dans la dépression post-hivernale... Le soleil se fait vraiment rare, la lumière est toujours très pâle, nous restons enfermés la plupart du temps tellement le ciel nous fait des misères, et nous nous soutenons mutuellement pour éviter de sombrer dans la déprime qu'occasionne un temps pareil. En une semaine, nous avons déjà regardé une saison complète de "Friends", serrés à huit sur le canapé de Linn et Maya, joué une centaine de parties de "Canasta" (un jeu de cartes qui fait fureur au Danemark et en Suède), nous avons assisté aux championnats panslavistes de G.R.S, mais rien n'y fait, le moral des troupes n'est pas toujours au beau fixe... Du moins, pour le conserver en bon état, nous devons redoubler d'astuces ; nos poches en sont pleines, nous devrions -je pense- tenir jusqu'au printemps.

Une qui a raté la fonte de très peu, c'est Aurélie. Enfin, elle n'en aura vu que les prémices, considérant qu'il faisait encore moins quinze quand elle est arrivée... Aurélie est ma cousine depuis maintenant pas mal de temps, et sa meilleure amie est expatriée à Moscou avec son père et ses deux frères depuis le mois de septembre. Aussi, Lili a profité de sa présence à Moscou pour croiser son petit cousin. J'étais impatient de voir pour la première fois depuis que je suis ici une personne de ma connaissance de passage dans la ville de Saint-Georges ! Nous nous sommes donnés rendez-vous chez Héloïse, l'amie de Lili, pour une soirée entre Français où Fab et Fanny étaient bien sûr également conviées. Nous savions pertinemment en arrivant tous les trois au pied de l'immeuble que les Français envoyés ici par leur entreprise sont généralement des cadres supérieurs vivant en Russie avec des revenus supérieurs aux salaires hexagonaux, bénéficiant de logements de fonction n'ayant rien à envier à ceux qu'on trouve boulevard des Belges ou vers les Brotteaux... Nous ne fûmes pas surpris de voir une rangée de BMW et 4x4 sur le parking, mais l'entrée de l'immeuble nous a impressionnés, tout comme l'ascenseur ultrarapide qui nous a mené au huitième et dernier étage de l'immeuble. Héloïse est venu nous ouvrir et nous a introduits dans un salon somptueux... au bout de quelques secondes, j'ai réalisé que depuis mon arrivée à Moscou cinq mois plus tôt je n'avais jamais mis les pieds dans un appartement ! Celui-ci n'était pas le moindre, un magnifique duplex (avec –incroyable ! - une vraie cuisine, une salle de bain pour eux tout seuls, de vrais canapés, comme une vraie maison !) à plus de $ 6000 par mois... Le père d'Héloïse est expert comptable pour un groupe français, ce bel appartement fait partie des petits "plus" offerts par les boîtes françaises à leurs employés acceptant de s'expatrier de ce côté-ci du rideau de fer. Aurélie nous attendait dans le salon, en pleine discussion avec des jeunes parisiens BCBG mais -semblerait-il- gentils quand même. L'un est ici pour quelques mois, envoyé par sa boîte, l'autre est de passage pour le week-end. Je suis vraiment content de voir ma cousine, c'est la première personne que je connais qui passe par Moscou, elle me donne des nouvelles de la famille, et l’on commence à radoter un peu nos souvenirs de vacances... Comme ça fait du bien ! Elle me fait aussi passer un petit sac Gibert-Jeunesse, un petit cadeau de la part de mon amoureuse, qu'elle voit régulièrement à Paris : une réserve de bouquins pour tenir quelques semaines, et une lettre écrite de sa blanche main ! Voilà qui me fait bien plaisir (à Fab et Fanny aussi, elles savent qu'elles pourront récupérer les livres assez rapidement)... Nous sommes tout de même un certain nombre de Français dans cette pièce, entre onze et vingt-cinq ans, étudiants, expatriés, enfants d'expatriés, touristes de passage ; nous réalisons avec Fab et Fanny qu'il existe une réelle communauté française à Moscou, de nombreux "expats" travaillant pour des entreprises françaises, envoyant leurs enfants dans des établissements scolaires français, chez les scouts, allant le dimanche à l'église française... Ils vivent au rythme français, font leurs courses à Auchan (ils ont une voiture, ils peuvent se risquer à y mettre les pieds)... C'est assez déroutant ! Il semblerait qu'ils ne connaissent pas la même Russie que nous, pour être honnête... Quoi qu'il en soit, Héloïse est une fille adorable, et nous sympathisons également avec Antoine, étudiant dans une école supérieure à Moscou. Il est le seul avec nous à fréquenter une école Russe, il vit comme nous dans une obchégitié, et il est comme nous dérouté par le petit microcosme des Français moscovites. Il nous avoue d'ailleurs ne pas toujours chercher leur compagnie, ce que je pense pouvoir comprendre sans peine : est-ce la peine de partir, si c'est pour recréer à l'identique l'endroit qu'on a quitté ? En tout cas la soirée est très sympathique, le buffet est formidable (de la vraie quiche lorraine, de vrais carambars, et des gâteaux fait maison), mais tout de même, c'est étrange, tous ces Français ! Bien entendu, la plupart des conversations tournent autour de la France, c'est tout de même agréable de comparer nos points de vue sur la Russie avec des gens qui viennent du même pays que nous, mais qui connaissent également une autre Russie, celle d'une autre classe, où l’on paye $ 8000 par mois à un propriétaire qui possède plusieurs passeports (avec différents noms) et porte en permanence un flingue dans son manteau.

Vers minuit, quand la soirée s'est terminée, Fanny, Fab et moi avons embarqué Antoine à Ogui, notre bar préféré de Kitaï-Gorod. Antoine était jusqu'à l'année dernière en école d'ingénieur à Centrale Lyon, spécialisé dans la "balistique de projection de mise en orbite de quelque chose" ce qui signifie en gros qu'il apprend à lancer des fusées et toutes sortes de projectiles hors de notre atmosphère, et au lieu de faire sa dernière année à Lyon, il a décidé de passer deux ans à Moscou, dans la meilleure école de lanceurs de fusées du monde. Comme ça, il sera bientôt diplômé de Centrale, mais possédera également le diplôme russe de lanceur de fusées et satellites qui semble être la référence mondiale. Son école a formé ceux qui ont envoyé Gagarine dans l'espace, qui ont créé le Spoutnik et qui ont placé des missiles à Cuba pendant la guerre froide. Bref, Antoine fera sûrement un jour partie de la fine fleur de l'aérospatiale (j'espère qu'il se destinera plus à lancer des fusées sur Mars qu'à lancer des satellites Nokia ou des Scuds) mais ce n'est pas ça qui l'empêche pour l'instant d'être un étudiant marrant, insouciant voir même légèrement barré dès qu'il se retrouve dans un bar souterrain où l'on joue de la musique à 120 dB... J'apprécie. Nous nous sommes séparés aux alentours de six heures du matin, prenant le métro en direction de nos obchégitiés respectives, après qu'il m'a invité aux championnats de GRS sus-cités.

J'ai revu Aurélie et Héloïse deux fois pendant la semaine où cette parisienne de Bretagne est restée chez nous. La première fois, nous nous sommes retrouvés sur la Place Rouge pour une petite ballade touristique : Basile le Bienheureux, le Goum, la place du Manège, la flamme éternelle du Soldat Inconnu (Paris n'a pas le monopole de ce genre d'attractions), Tvierskaïa, le magasin de l'Elysée, la place Pouchkine... Nous l'avons fait marcher dans les deux sens du terme, de nos bottes les dernières neiges de l'année, prévoyant la durée des trajets en minutes russes (le temps est extensible ici, la faille temporelle que j'avais constatée en début d'année est toujours là)... Si un Russe vous dit "marchez vingt minutes dans cette direction, vous y serez !" comptez une bonne heure. Au moins. Nous avons fini entre Loubianka et Kitai-Gorod, derrière les locaux du KGB dans un Moumou, l'équivalent local du Flunch, on l'on peut sans crever sa bourse se remplir la panse de spécialités du coin. Sur notre chemin, nous avons visité Dietski Mir, le plus grand magasin de jouets dans lequel j'ai jamais mis les pieds. Un vrai rêve de gosse ! Aurélie aura passé la soirée à nous mitrailler avec son appareil photo dernier cri, pour notre plus grand plaisir : Héloïse semble détester poser pour des photos autant que moi ! Enfin, Charline avait fait des commandes, je me suis plié à leur volonté. La seconde fois, je suis passé chez Héloïse pour confier à Aurélie une lettre pour mon amoureuse, et au risque d'arriver en cours en retard, je me suis laissé invité pour le repas. C'est agréable, un véritable repas dans une véritable cuisine, avec des gens qui de surcroît ne sont pas détestables. J'ai dû courir comme un dératé pour arriver à l'heure à mes cours de l'après-midi... L'abondante neige mouillée qui tombait ce jour-là ne m'a pas vraiment facilité la course, fondant sur mes verres de lunettes, réduisant ma visibilité pour me précipiter vers toutes les flaques et tremper mes pieds jusqu'aux genoux (je tiens à préciser que les flaques disposées sournoisement entre la station de métro et l'école ont une taille moyenne trois fois supérieure à celle du lac Léman). Tout ça pour finalement arriver à la bourre, malgré tous mes efforts ! Je lui ai souhaité bon retour avant de la quitter, et aux dernières nouvelles, elle est à Paris et en parfaite santé. A priori, elle a adoré Moscou. Elle doit faire attention, Moscou, plus on y va, plus on y retourne...

J'y suis allé finalement, à cette compétition de GRS, emportant avec moi Alex, Anastasia, Linn, Maya, Lalla, Signe, Sophie, Regina et mes fidèles acolytes, Fanette et Fab. Ça a été un sacré boulot de trouver le gymnase, la billetterie... Mais honnêtement, on commence à être assez habitués à être perdus dans des quartiers lointains sous des tempêtes de neige fondue ! On a retrouvé Antoine, accompagné de Russes et de Français de sa fac ; nous n'étions pas placé au même endroit, et nous sommes partis avant le gala où il est resté. On s'est parlé quelques minutes, pas beaucoup plus... Quoi qu'il en soit, la compétition a été vraiment prenante, et malgré ce que m'avait dit Charline "Mais c'est nul un gala de GRS" nous avons apprécié et contesté les décisions des juges tout le long de la compétition, comme de vrais amateurs de la discipline. Il faut dire que le jury était injuste : parmi les candidates (une Ukrainienne, deux Russes, une Polonaise, une Israélienne et tout plein d'autres du même coin), c'est la même qui a remporté toutes les compétitions. Anastasia, qui s'y connaît en GRS (ses parents sont entraîneurs de l'équipe nationale Grecque de gymnastique) nous l'a affirmé dès le départ : "Vous voyez Kabaiéva là-bas ? À une époque, elle était la meilleure, et même si maintenant elle n'est plus aussi bonne qu'avant, tous les membres du jury vont la surnoter. Normalement, elle devrait remporter toutes les épreuves !" C'est finalement ce qui s'est passé... Ce qui fait qu'à l'issue de chacune des cinq épreuves, nous avons eu droit à la hissée du drapeau russe, et à l'hymne national local (il faut se lever quand on entend l'hymne national russe, sinon les gens vous regardent de travers). Finalement, en quittant le gymnase, on s'est vraiment paumés en cherchant le métro, et pour la première fois, j'ai rencontré un Russe acceptant de perdre trois minutes de son temps précieux pour prendre le temps de nous indiquer le chemin. On a encore bien pataugé, surtout Fab qui avait sorti les chaussures de printemps et qui a fini aussi trempée qu'on peut décemment l'être...

Sinon, on a perdu deux des huit blondes la semaine dernière (pour être honnête, seules six des huit scandinaves sont blondes : une est d'origine asiatique et l'autre s'est teint les cheveux parce qu'elle en avait marre d'être blonde comme tout le monde). Signe et Sophie ont en effet malheureusement été rappelées de force dans leur école à Copenhague pour des raisons qui ne nous paraissaient pas vraiment valables... Cela fait la balance, avec Alex et Anastasia, mes camarades de novembre qui sont revenus il y a deux semaines de ça. Signe et Sophie font des portées acrobatiques ensemble, et c'est vrai que ce n'est pas très évident pour elles, considérant qu'elles sont peu ou prou du même gabarit, et que les Russes ne considèrent les portés que dans le cas "un énorme porteur et une toute petite voltigeuse", et leur technique est réellement inadaptée au cas Sophie et Signe... A priori, cela fait déjà quelques temps qu'elles peinaient, déjà à Copenhague ce n'était pas toujours facile. Il n'était pas question de dissensions entre elles, elles s'entendent comme larronnes en foire, c'était simplement physiquement difficile, et leur travail ne portant quasiment aucun fruit, elle ne prenaient pas de plaisir à bosser ensemble. Ajoutons à cela que Signe a grandi en Amérique du Sud et aimerait bien y retourner un de ces jours, tandis que Sophie se sent très bien à Copenhague... Elles ont demandé à pouvoir changer de spécialité, retravailler chacune de leur côté les choses qu'elles faisaient avant de travailler en duo. Leur école, qui paye les cours, a refusé tous net : elles sont venues ici pour faire des portés, si elles n'en font pas, qu'elles reviennent à la maison ! Ça a été un peu rude, un peu précipité, elles sont parties une semaine seulement après que leurs professeurs au Danemark ont pris leur décision... Personne n'était vraiment d'accord avec cette décision de les rapatrier: comme tous les élèves de deuxième année sont sensés être à l'étranger en ce moment, elle n'auront ni place ni professeurs pour s'entraîner à leur retour. Autant dire qu'elles ne se sont pas trop faites à l'idée de partir... La veille de leur départ, on a bien sur fait une petite fête en leur honneur, pour leur dire qu'elles allaient nous manquer, et qu'on aimerait les garder un peu plus longtemps avec nous... Vers onze heures du soir, je suis sorti prendre l'air, et pour la première fois depuis un certain temps j'ai pu rester dehors dix minutes en portant uniquement un pull ; le printemps s'approche tout de même on dirait. Jeudi, journée de la femme donc jour férié (toutes les occasions sont bonnes pour mettre un jour férié, on a même eu droit à un pont pour cette journée du 8 mars), Signe et Sophie ont fait leurs bagages, pour partir en milieu de soirée ; c'est toujours bizarre ces jours de départ, surtout dans le cas présent, où nous sommes plusieurs qui ne les reverront peut-être jamais. C'est le problème des années à l'étranger, on se fait tellement d'amis qu'on ne recroisera plus après... Enfin, je préfère perdre des bons amis que de ne jamais rencontrer personne. Le soir, on les a accompagnés jusqu'à Dynamo, où le métro devait les mener à Retchnoï Vokzal, d'où partent les bus pour l'aéroport. On s'est mis à plusieurs pour porter les sacs (je me suis bien sur tapé le plus lourd, j'étais le seul mec de la bande), et faire un petit bout de chemin avec elles. Puis on les a embarquées sur l'escalator, après avoir empilé les sacs sur leurs dos et effectué les dernières embrassades... On s'est sentis tout cons en les laissant partir..."Qu'est ce qu'on va faire tous les onze, maintenant qu'on est tout seuls ?" Nous sommes rentrés chez nous, pour nous entasser sur le canapé et regarder "Moulin Rouge", un film qui ne mérite pas vraiment qu'on s'étende à son sujet.

Dernièrement, Fabienne m'a offert un disque pirate en mp3 sur lequel se trouvent l'intégralité des chansons de Joe Dassin (sauf "Si tu t'appelles Mélancolie", ça me déçoit un peu) y compris toutes les traductions de ses chansons en allemand, anglais, espagnol, italien, japonais ! J'écoute le grand Joe en boucle, et la vénération que je commence à porter à ce chanteur sentimental tourne presque à la pathologie... Tous les matins je me réveille en écoutant à plein volume "L'Amérique", "La fleur aux dents" et surtout "Ligne de vie", qui avec ses choeurs de chanteuses anglophones à des allures de "Hair". Enfin bref, j'attribue cet amour pour le larmoyant chanteur à un manque affectif dû à l'éloignement que j'essaye de combler en chantant "Mais combien faut-il de temps pour t'oublier". À noter que je connais maintenant par-coeur le monologue d'introduction de "L'Eté Indien". À part ça, c'est pas pour cafter, mais les amours de Fanny progressent plus rapidement que celles de Fabienne. Pour préserver leur intimité, je ne m'étendrai pas sur ce sujet non plus.

Tome 13 : Au printemps

Tome 13 : Au printemps
lettre du 25 février 2007


Tout se passait bien jusqu’ici. Nous avions des repères fiables. C’était l’hiver, et la température oscillait entre moins cinq et moins quinze, parfois un peu plus froid, les nuits surtout. Il neigeait –normal- c’était l’hiver, un bon vieil hiver moscovite comme on n’en fait plus chez nous ! Et puis vendredi dernier, une parade bruyante de diéjournas affublées de déguisement à la Russe et portant un épouvantail géant et des plateaux couverts de crêpes sont venu nous annoncer en hurlant que l’hiver était fini. Il neigeait à gros flocons dehors mais comme elles nous ont offert suffisamment de crêpes pour nous coller à tous une indigestion, on s’est gavé de blinis et on n’a pas fait de remarques. Selon le calendrier orthodoxe, le printemps est arrivé, tous les autochtones ont l’air d’y croire, mais on ne m’a pas comme ça... Ils ont brûlé pendant la semaine grasse (si en Europe on n’a que mardi gras, ils ont ici une sorte de carnaval-chandeleur-fête du printemps qui dure toute une semaine) le bonhomme de l’hiver, cuisiné des crêpes jusqu’à overdose, célébré le retour du soleil, mais la température ne cesse de descendre depuis. C’est assez déroutant car ces jours ci le soleil ne cesse de briller tandis mais le thermomètre indique toujours des températures en dessous de moins vingt, et la météo prétend que ça devrait continuer comme ça encore quelques jours... Je bénis celui qui a inventé le double vitrage et le chauffage central, sans qui nous ne pourrions passer nos nuits tranquillement au chaud tandis que dans la rue le bonhomme d’hiver fait son baroud d’honneur en figeant le mercure à moins trente degrés ! Avec Fabienne, nous avions une échelle de température adaptée à la vie moscovite, partant de zéro degré : de zéro à moins sept, le temps est doux, de moins sept à moins quinze, il est froid, de moins quinze à moins dix-sept, très froid, légèrement en dessous, très très froid, mais nous entrons maintenant dans la phase du « froid qui fait mal ». Vingt minutes de marche par un froid de vingt degrés passés deviennent douloureuses pour le corps, d’autant que la neige tombe toujours et que des vents d’est tout droit venus de Sibérie nous surprennent systématiquement lorsqu’on ne les attend plus. Les muscles se contractent, les articulations deviennent douloureuses, nous découvrons de nouvelles sensations : avoir froid aux chevilles, avoir froid aux yeux, sentir nos sinus se pétrifier quand nous avons l’imprudence de respirer par le nez... On passe de plus en plus de temps à la maison ! Bref, nous voici pas mal déboussolés vis-à-vis de ce que les Russes appellent le printemps et je crois que c’est une nouvelle fourberie de leur part pour nous déstabiliser une fois de plus et nous faire sombrer peu à peu dans la folie... Nous résisterons à coup de pulls en laine polaire, de chaussettes tricotées à la main et de caleçons longs en lycra™.

C’est pourquoi vendredi soir nous avons tous décidé de ne pas sortir, et de recréer l’ambiance d’un bar au sein même de notre obchegitié. Bien habillés (certaines avaient même sorti les robes de soirée) nous nous sommes réunis dans la chambre de Simon et Nicoletta (après que j’ai, bien sûr, prévenu tous les voisins de l’étage que nous allions être bruyants) pour passer une bonne soirée entre amis. Il existe une expérience amusante assez simple à réaliser (à condition d’avoir sous la main les personnes et le matériel adéquat) : placez huit jeunes filles scandinaves venues sans petits amis dans une chambre de cité universitaire moscovite, et laissez décanter une vingtaine de minutes. Une loi mathématique indique qu’alors le nombre de jeunes mâles russes entrant dans la pièce par mégarde (« Oups, je me suis trompé de porte ! ») est supérieur ou égal au nombre de japonais agglutinés dans la salle de la Joconde –au Louvre- un samedi après-midi vers la mi-juillet. Nous nous sommes vites retrouvés au complet, même si peu de Russes sont restés dans la chambre plus d’un quart d’heure : si la plupart du temps ils rentrent en conquérants, roulant des mécaniques, il semblerait que beaucoup d’entre eux sont de grands timides face à ces jeunes filles. Ajoutons à cela que peu nombreux sont ceux qui parlent anglais, tandis que je suis le seul étranger ici à parler quelques mots de russes... Enfin, même si la plupart d’entre eux ont rapidement abandonné la partie, la fine fleur des Russes plus ou moins anglophones est restée avec nous. Et ils ne manquent ni d’énergie, ni d’imagination, ce qui a rajouté encore un peu d’ambiance à la soirée qui était déjà bien vivante. Parmi les événements notables de la soirée, Andreï nous a improvisé une magnifique chorégraphie de danses ukrainiennes, Aliocha nous a chanté des ballades russes en s’accompagnant avec une guitare indécemment désaccordée et Lalla et moi avons trouvé un magnifique exutoire à la colère : nous avons passé trois bonnes minutes à nous hurler dessus, chacun dans notre langue, sans écouter l’autre, sans s’arrêter, sans respirer, ce qui a bien fait marrer les quelques Russes qui restaient tout en nous défoulant d’une manière efficace... Puis nous avons continué nos histoires, regardé les gens danser et nous nous sommes demandés comment tout ça se passerait si les filles se comportaient toujours comme des gars, et vice versa. Une chose en entraînant une autre, j’ai fini ballerine, portant une robe de Sophie tandis que Linn portait des fringues piochées dans mon placard... Nous étions revenus dans nos rôles respectifs quand Manuel, le professeur de portés de Simone et Nicoletta a fait irruption dans la soirée. Manuel est à la brute au grand cœur ce l’Empire State Building est au pavillon de banlieue : il a un physique reclassant les lutteurs de foires au rang de poids plume, et on devine en le voyant qu’il est de ces gens capables de déraciner des baobabs sans effort où d’assommer un tricératops à mains nues (quand il était porteur, il portait six voltigeurs en même temps) mais il est aussi une des personnes les plus adorables que la terre ai porté. Sans rire. Il était venu nous faire une petite visite de courtoisie, quand il a remarqué qu’Andreï et Aliocha étaient de la partie. Ils se sont carapatés dans leur chambre après que Manuel leur ai lancé un regard qui aurait suffit à faire fondre le peu qui reste des calottes glaciaires en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Car si Manuel est plus doux qu’un agneau angora, il reste (et nous l’ignorions à ce moment) responsable de tous les élèves Russes qui vivent à l’obchegitié. Et si nous sommes totalement autonomes ici, les sus-cités élèves Russes restent sous la responsabilité de l’école même à l’obchaga, qu’ils soient majeurs ou non. Sur le coup, on n’a pas très bien compris ce qui se passait (sauf moi, j’ai fait pas mal de progrès en russe) et tout le monde a cru que les gars qui avaient regagné leurs pénates étaient partis parce qu’ils avaient mieux à faire. Quoi qu’il en soit, ils se sont retrouvés lundi matin convoqué par la direction de l’école, en présence de tous leurs professeurs, et ont passé un assez mauvais quart d’heure... Si on avait su qu’ils n’avaient pas le droit d’être avec nous, on les aurait caché sous nos lits, ça aurait simplifié les choses, mais ils nous ont dit que ça avait valu le coup de passer une soirée entière avec nous pour seulement dix minutes d’engueulades. Quoi qu’il en soit, ils n’ont maintenant plus le droit de passer chez nous après minuit, on devra faire nos soirées sans eux, c’est dommage. Ce qui est étrange, c’est que les Russes n’arrêtent pas de faire des fêtes au deuxième étage, écoutant de la musique à plein volume toute la nuit et tous les jours de la semaine ; certains matins, on en voit même quelques uns arriver à l’école après une bonne nuit blanche, et encore saouls comme des Polonais sans que ça ne choque les professeurs ! Encore un paradoxe incompréhensible dans cette école de fous.

Quelques jours plus tard, il y avait une petite fête en salle des professeurs pour célébrer l’anniversaire de la directrice de l’école (une quinquagénaire snobinarde et couverte de bijoux qui n’a mis les pieds à l’école que trois fois depuis mon arrivée en octobre), et notre chère Louba, surveillante de notre étage, nous a finement conseillé de lui offrir un joli bouquet de fleurs pour nous racheter après le détournement des petits anges que nous avions effectué au début de ce paragraphe. Les Russes se font souvent des cadeaux (fleurs et chocolats arrivant en tête), bien plus souvent que les Français, soit parce qu’ils s’aiment bien, soit pour acheter des faveurs –soit dit en passant, il y a dans un périmètre de cinq cents mètres autour de chez moi trois fleuristes ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre- ce qu’a d’ailleurs fait la cœur des enseignants de l’école. En effet, si la majorité des professeurs ne peuvent voir la directrice en peinture, ils l’ont ensevelie sous une montagne de cadeaux (des fleurs aux chocolats en passant par des châles de treize mètres carrés et même un four à micro-ondes) histoire de conserver leur emploi au moins jusqu’à l’année suivante. Quand nous avons offert les fleurs à notre bien aimée directrice (qui s’en met d’ailleurs plein les poches grâce à nous, car si nous payons 250 roubles pour chaque heure de cours, nos professeurs n’en touchent que 35 pour ces leçons particulières) elle nous a lancé avec un grand sourire : « Maintenant vous devez me chanter Happy Birthday ! » en réclamant d’une manière désagréable... Quoi qu’il en soit, personne ne nous embête plus pour nos petits excès à l’obchaga !

Puisque le printemps est là, nous avons décidé Fabienne et moi de le célébrer à notre façon en achetant des luges pelles en plastique pour pratiquer les sports de glisse dans le grand parc de Botanitcheski Sad. Par un maigre soleil de printemps moscovite, nous nous sommes de nouveau aventurés dans les allées de cet immense parc, parmi les skieurs, les étangs gelés, les poussettes-traîneaux et les meutes de loups affamés. Partant à la recherche des petites collines et pistes de luge, nous avons trouvé le terrain idéal : des pentes courtes mais abruptes, où les passage de nombreuses luges avait damé des pistes glacées plus qu’enneigées. Nous allions pouvoir glisser sur nos pelles en plastique au milieu de tous ces gamins du coin qui conduisaient ces incroyables luges-traîneaux-motoneiges avec patins en alu, freins à pédale et direction assistée. Excusez du peu, nous ne sommes pas là pour si longtemps alors on reste modestes au niveau matériel. Quoi qu’il en soit, si nos luges sont aussi peu maniables que confortables, nous avons réalisé de belles descentes, d’abord sur les pistes « damées », dont l’incroyable piste noire (très pentue et extrêmement glissante, cette piste n’était qu’un fine couche de glace transparente à travers laquelle on ne voyait pas de la terre mais un rocher lisse comme une piste de bowling) puis nous avons essayé l’autre versant de la colline, dans quinze centimètres de neige poudreuse. Plus confortable pour nos fragiles derrières, la neige est aussi plus à craindre que la glace, puisqu’elle s’est immiscée sous nos vêtements, dans nos chaussettes, dans nos poches... Nous avons essayé de magnifiques pistes, « le circuit » avec un virage difficile à négocier, « la forêt » ou il faut éviter les branches basses, puis ma préférée « la descente du cimetière orthodoxe » qui comme son nom l’indique finissait contre la grille d’un magnifique cimetière de bois, où les tombes ornées de la croix slave étaient ensevelies sous une épaisse couche de neige. J’ai créé sur cette piste l’incroyable technique du départ jeté, consistant à courir du haut de la colline la pelle à la main, et d’un magnifique bond, s’élancer sur la piste, placer la luge entre les jambes et tomber délicatement sur le séant et glisser superbement jusqu’au bas de la pente, tel un demi-dieu descendant l’Olympe sur son chariot de feu. Bref, si je me suis beaucoup amusé avec ce départ extrêmement technique, je mentirais en affirmant que mon coccyx est sorti indemne de cette expérience, le principe de « tomber délicatement sur le séant » étant difficile à maîtriser. Après une bonne heure de glisse, de photos de sports d’hiver et de vidéos sportives, nous sommes partis rejoindre Fanny, dont la mère et la cœur étaient à Moscou pour la semaine. Nous nous sommes rendus compte en rentrant dans le métro à quel point la neige s’était infiltrée sous nos habits en entrant dans la station de métro derrière le parc : celle-ci ne nous mouillait pas jusqu’ici puisque par moins dix, la neige ne fond pas, même sous quelques couches de vêtement. Dans le métro, par vingt-cinq degrés, elle fond par contre à une vitesse alarmante, et nous qui étions secs en sortant du parc, nous sommes retrouvés trempés comme bretons sous la tempête en nous asseyant dans les wagons du métro.

Sur Tvierskaïa, avant d’aller se réchauffer autour d’un thé bien chaud dans un café, nous sommes passés devant le plus classe des supermarchés à l’est du rideau de fer. A l’ouest aussi d’ailleurs. Situé dans les beaux quartiers et nommé « Magasin de l’Elysée », ce supermarché est une immense épicerie fine, dans des locaux du plus pur style Baroque (tendance Rococo) où l’on peut trouver la plupart des mets les plus luxueux de notre bonne vieille Cœur, des cafés italiens, des chocolats belges et suisses, des fromages en veux tu – en voilà, des vins... Avec nos grosses chaussures et nos habits trempés, nous ne correspondions pas exactement au standing du magasin, mais qu’importe ! J’ai failli verser une larme devant les yaourts aux fruits Mamie Nova, les bûches de fromage de chèvre, les jambons crus, toutes ces choses introuvables ailleurs. Malheureusement, pas de Reblochon (ça nous aurait coûté une fortune de toute façon). J’aimerais faire une petite parenthèse sur les vins français à Moscou. Je crois que les services commerciaux des vignobles bordelais ont réussi une incroyable entourloupette, le casse du siècle, une arnaque en or, en refilant leurs pires bouteilles aux magasins moscovites : beaucoup de magasins vendent ici des vins français, et uniquement du Bordeaux, seulement toutes les bouteilles sont de l’année 2004, qui semble-t-il fût une des pires années de ces deux dernières décennies. Toutes ces bouteilles sont bien sûr vendues au prix des meilleurs vins, et les autochtones s’extasient sur les moins bons cépages du pire crû en faisant l’éloge des vins français, sans savoir qu’on leur a refilé de la piquette... fin de la parenthèse. Quoi qu’il en soit nous avons passé pas mal de temps dans ce magasin, à admirer de magnifiques camemberts à six euros, des yaourts « la laitière » au citron aux prix non communicables et des apéricubes à (tenez vous bien) douze euros la petite boîte. Nous sommes repartis avec de véritables oeufs « Kinder Surprise », nous dépêchant de trouver un café à notre goût pour sécher nos vêtements et déguster ces merveilles. Nous avons finalement pris place dans un autre lieu assez classe de la rue Tvierskaïa (même dans les lieux huppés, le thé reste de toute façon à des prix dérisoires) feuilletant des magasines locaux en finissant de faire fondre la glace qui se trouvait dans nos poches avant d’être rejoint par Fanny et ses deux invitées venues tout droit de Haute Savoie pour lui rendre visite. De ces quelques heures passées dans le bar, j’ai retenu deux choses importantes (trois si on considère la cuillère à thé que j’ai piqué en partant) : la première, c’est que le tant attendu Tome 7 de Harry Potter sortira en juillet (Fab et moi sommes devenus fous en apprenant ça, même si Fanny n’en a rien à cirer), et la seconde, non moins importante : la mère de Fanny nous a ramené un énorme Reblochon... Après des mois de privations, nous allons enfin pouvoir nous taper une tartiflette géante, cuisinée par nos soins en plein cœur de la sainte et froide Russie.