jeudi 8 janvier 2009

TOME 11 : Deuxième Fournée

TOME 11 : Deuxième Fournée
lettre du 31 janvier 2007

- Ma prof de ballet a réussi à me faire venir en cours en collant et ballerines -

Voici bientôt deux semaines que j’ai regagné mon obchégitié moscovite… Ici pas mal de choses ont changé : si Lisa et Juan sont partis, si Paula est sur le départ, si Alex et Anastasia ne sont toujours pas revenus (ils sont au Québec en ce moment) et si Pacha n’a passé que deux jours à Moscou, beaucoup de nouveaux sont arrivés. Beaucoup de nouvelles et un nouveau, pour être honnête. La veille de mon arrivée ont débarqué six élèves de l’École de Cirque de Copenhague. Quatre d’entre elles sont Danoises, et deux sont Suédoises, qui seront rejointes dans la semaine prochaine par deux autres filles du Nord. Sont aussi arrivés à la fin de la semaine Nicoletta et Simoné (j’imagine que son nom s’écrit sans l’accent mais si j’écris Simone ça sonne mal –nous l’appellerons dorénavant Simon-), un couple d’Italiens authentiques qui font bien sur des portés, comme tous les couples de circassiens. Ils parlent tous deux français avec une extrême aisance (ils ont vécu plus d’un an à Bruxelles), mais le niveau sonore de leurs conversations, leur incapacité à s’exprimer sans sortir les mains de leurs poches et leur habitude d’engloutir des pizzas à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit trahissent leurs origines transalpines. Nous attendons également l’Espagnol qui devrait arriver demain depuis dix jours, et partager ma chambre jusqu’en avril. Autant dire que les couloirs de notre étage –où sont parqués tous les étrangers- commencent à retrouver une certaine vie. Ce qui n’est pas pour me déplaire…

Or, voilà qu’en ce jeudi 25 janvier, cette vie couloiresque a atteint pour la première fois un niveau qualifiable d’agitation cacophonique. Il faut dire que nous étions onze personnes à cuisiner simultanément, préparant ce qui fût un gargantuesque repas d’anniversaire. Car en ce vingt-cinq janvier, nous célébrions dignement et fraternellement mes vingt-et-un ans. Je dois avouer que j’ai été passablement surpris ce soir-là en rentrant dans la cuisine… Quelle était cette bruyante agitation dans cet endroit habituellement si calme ? Pourquoi tout le monde s’était-il donné le mot pour cuisiner à cette heure précise ? « Ben on prépare ton repas d’anniversaire ! » Paula avait prévenu tous les étrangers (ainsi que Nastia, Moscovite mais étrangère d’adoption) que j’entrai ce jour-là dans ma vingt-deuxième année. Le fait que nous ne nous connaissions pas n’avait pas du tout refroidi les filles du Nord, et elles ont organisé pour moi ce soir-là une magnifique soirée d’anniversaire ! Si je m’attendais à des coups de fil de ma famille et de ma blonde (qui m’ont d’ailleurs fait extrêmement plaisir, ainsi que les messages de Fanny et Fab), je ne m’attendais pas à ça ! C’était aussi une bonne occasion pour tous nous rencontrer, entre Européens fraîchement débarqués de nos pays respectifs (bien que ce soit un peu moins frais pour Paula et moi, encore moins pour Nastia, mais enfin…), et ceux qui me connaissent ne s’étonneront pas de savoir que j’étais plutôt content de me retrouver au milieu de la fête…

Passons plutôt à table. Dans la chambre treize, une table et un bureau ont été mis bout à bout pour former une magnifique table de banquet, ornée de bougies plantées dans des bouteilles de bière vides. Un des côtés du bureau n’est pas très confortable, car une plaque de bois faisant fond relie deux des pieds, nous forçant à nous asseoir les jambes en grand écart. Comme je suis à peu près aussi souple que les tribunaux coraniques somaliens, je me retrouve assez loin de mon assiette, malheur compensé par le fait que celle-ci déborde de victuailles. Au menu : ragoût de pommes de terre, beignets de pommes de terre, pommes de terre au four et omelette géante cuisinée par mes soins (aux oignons et tomates, j’ai loupé la thématique de la soirée). Bières russes et belges et Champagnskoïé (le fameux Champagne russe) arrosent l’abondante nourriture (chacun d’entre nous ayant cuisiné pour cinq, il nous fallut plusieurs jours pour arriver à bout de toutes ces pommes de terre). Nous sommes donc onze : Signe, Sophie, Line, Linn (l’une est Danoise, l’autre Suédoise, ça ne se prononce pas du tout pareil), Maja, Regina, Paula, Nastia, Nicoletta, Simon et moi. Au fur et à mesure du repas, Simon et moi nous rapprochons l’un de l’autre d’une chaise toutes les dix minutes. Au bout d’une heure nous nous serrons les coudes, jouant la carte de la solidarité masculine dans cet environnement portant jupons. J’ai droit aux gâteaux couverts de bougies (la prochaine fois, Nicoletta nous fera un Tiramisu, si nous arrivons à trouver les ingrédients dans cette froide ville de Moscou), aux cadeaux (des tongs pour la douche, dont le sol est de moins en moins présentable, et un CD de Vladimir Vissotstki, le Georges Brassens local) et au « Bon Anniversaire » chanté dans sept langues différentes (anglais, français, italien, hollandais, suédois, danois et russe). Lisa, notre italienne moscovite m’a même appelé de Berlin pour me le chanter ! Il y a quelque chose d’incroyable dans cette soirée, au bout de deux heures nous sommes tous des amis de longue date… On dira ce qu’on voudra, les appartements communautaires ça pousse à la sociabilité !

Samedi, pour les remercier d’avoir fait cette soirée, j’ai fait le guide dans Moscou, conduisant cinq de ces demoiselles à pied de chez nous à la Place Rouge, en passant par les beaux quartiers. Cela représente une bonne heure de marche, et considérant que la température ne monte maintenant plus au-dessus de moins dix, nous avons été contents de voir ouverte la Basilique de Basile le Bienheureux, où nous nous sommes réfugiés pour y trouver un peu de chaleur. Je n’avais jamais mis les pieds dans cet immense jeu de quilles posé sur la Place Rouge, et j’ai été extrêmement étonné en découvrant l’intérieur : nous nous attendions à pénétrer dans une grande salle de culte, et nous nous sommes trouvés dans un incroyable labyrinthe de couloirs et de minuscules chapelles, repartis sur plusieurs étages d’une manière paraissant totalement anarchique. Nous avons passé les quinze premières minutes à visiter cet improbable dédale, et les dix qui suivirent à tenter de se retrouver mutuellement, puis enfin de trouver la sortie vers une Place Rouge recouverte de neige (il neige tous les jours depuis mon anniversaire, ce jour-là nous avions déjà tous des bottes et des chaussures à crampons). Nous nous sommes alors rapidement dirigés vers le ГУМ (le G.OU.M, centre commercial soviétique de la Place Rouge), pour y boire quelque chose de chaud, car il ne fait pas une température si douce dans la basilique ! Pour la première fois je joue le rôle de « celui qui parle Russe », car je suis le seul du groupe à en avoir quelques rudiments, alors que jusqu’ici je m’appuyais généralement sur les autres. Paula et Fanny nous rejoignent, et nous nous remplissons de thé et de chocolat chaud en essayant de faire retrouver à nos mains un semblant de sensibilité, voire de motricité (après plus d’une heure dehors, nos mains sont paralysées, et les quelques fois où j’ai dû me servir de mon téléphone pour joindre Fanny et Paula furent aussi laborieuses que douloureuses, avec avouons le une dimension comique non négligeable). Nous nous séparons ensuite : les nordiques vont au cirque, Paula à l’opéra, et Fanny et moi partons rejoindre Fabienne chez elles. J’ai droit là-bas à un nouveau repas d’anniversaire, avec gâteau, bougies (dont la base fond à l’intérieur dudit gâteau, laissant de magnifiques stries roses et bleues), et cadeaux ! Je commence à être gâté… Le soir, nous nous sommes tous retrouvés (quatre Danoises, deux Suédoises, un Italien, une Italienne, une Russe, une Hollandaise, deux Françaises et moi-même) dans un bar de Tvierskaia : le F.A.Q. Autant dire qu’avec une telle brochette d’étrangères autour d’une même table, nombreux sont les jeunes Moscovites qui ont voulu conter fleurette à ces jeunes Européennes (personne ne nous a accosté Simon et moi, on ne s’en porte pas plus mal vu les manières moscovites), se cassant d’ailleurs systématiquement les dents face à une sorte de front féminin international contre les dragueurs bourrés. Bien joué les filles. Une soirée de plus à parler Espéranto !

Demain soir, de nouveau, l’effervescence devrait régner dans la cuisine : nous devons fêter simultanément le départ de Paula et l’arrivée de deux nouvelles élèves de l’École de Cirque de Copenhague. La vie à la maison devient de plus en plus mouvementée…

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