dimanche 11 janvier 2009

TOME 14 : La tête dans les nuages et les pieds dans l'eau

TOME 14 :
La tête dans les nuages et les pieds dans l'eau

lettre du 13 mars 2007

-Tout ceci est un peu décousu-

Les Russes avaient raison sur un point : je crois que l'hiver est fini, sur ce coup, ils n'avaient pas tort. Par contre ils se sont complètement gourés dans leurs annonces, car si l'hiver "pour de vrai" que nous venons d'endurer est bel et bien fini, il me paraît prématuré de parler de printemps. On voit plutôt un automne assez moche, en fait, les températures sont "douces" si on s'en réfère à notre nouvelle échelle (de moins cinq à zéro, souvent même un ou deux degrés au-dessus de zéro), il neige en permanence une affreuse neige lourde et mouillée, chaude, qui ne tient pas sur le sol et fond instantanément sous le poids des gaz d'échappement. En parlant de neige, voici venu le temps de la fonte ! Celle qui recouvrait les routes et les trottoirs a presque entièrement fondu, tandis que les énormes tas remblayés à chaque coin de rue commencent à prendre une teinte gris-marron et menacent de se liquéfier d'un moment à l'autre. Seule, la neige des parcs, de squares, des pelouses et des jardins reste encore plus ou moins présentable. Près des lieux de passage, elle fond déjà, laissant s'échapper des litres de boue venant se mélanger à la neige sale et fondante, grise de pollution pour engloutir les rues d'une ville où les égouts sont quasiment inexistants. On compte en effet une moyenne d'une bouche d'égout tous les cinq cents mètres, dans des rues pleines de nids de poules qui n'attendent qu'à se remplir... Nous pataugeons depuis maintenant près d'une semaine ! Si il n'était pas évident de se promener quand le thermomètre indiquait moins vingt, il devient maintenant vraiment difficile de mettre un pied dehors, et nous ruinons chaussures et pantalons à un rythme effréné à force de plonger dans des flaques qui nous trempent jusqu'aux chevilles. Autant dire que si on a loupé la grande dépression d'hiver (l'hiver a quand même été plutôt marrant), nous entrons de plain-pied dans la dépression post-hivernale... Le soleil se fait vraiment rare, la lumière est toujours très pâle, nous restons enfermés la plupart du temps tellement le ciel nous fait des misères, et nous nous soutenons mutuellement pour éviter de sombrer dans la déprime qu'occasionne un temps pareil. En une semaine, nous avons déjà regardé une saison complète de "Friends", serrés à huit sur le canapé de Linn et Maya, joué une centaine de parties de "Canasta" (un jeu de cartes qui fait fureur au Danemark et en Suède), nous avons assisté aux championnats panslavistes de G.R.S, mais rien n'y fait, le moral des troupes n'est pas toujours au beau fixe... Du moins, pour le conserver en bon état, nous devons redoubler d'astuces ; nos poches en sont pleines, nous devrions -je pense- tenir jusqu'au printemps.

Une qui a raté la fonte de très peu, c'est Aurélie. Enfin, elle n'en aura vu que les prémices, considérant qu'il faisait encore moins quinze quand elle est arrivée... Aurélie est ma cousine depuis maintenant pas mal de temps, et sa meilleure amie est expatriée à Moscou avec son père et ses deux frères depuis le mois de septembre. Aussi, Lili a profité de sa présence à Moscou pour croiser son petit cousin. J'étais impatient de voir pour la première fois depuis que je suis ici une personne de ma connaissance de passage dans la ville de Saint-Georges ! Nous nous sommes donnés rendez-vous chez Héloïse, l'amie de Lili, pour une soirée entre Français où Fab et Fanny étaient bien sûr également conviées. Nous savions pertinemment en arrivant tous les trois au pied de l'immeuble que les Français envoyés ici par leur entreprise sont généralement des cadres supérieurs vivant en Russie avec des revenus supérieurs aux salaires hexagonaux, bénéficiant de logements de fonction n'ayant rien à envier à ceux qu'on trouve boulevard des Belges ou vers les Brotteaux... Nous ne fûmes pas surpris de voir une rangée de BMW et 4x4 sur le parking, mais l'entrée de l'immeuble nous a impressionnés, tout comme l'ascenseur ultrarapide qui nous a mené au huitième et dernier étage de l'immeuble. Héloïse est venu nous ouvrir et nous a introduits dans un salon somptueux... au bout de quelques secondes, j'ai réalisé que depuis mon arrivée à Moscou cinq mois plus tôt je n'avais jamais mis les pieds dans un appartement ! Celui-ci n'était pas le moindre, un magnifique duplex (avec –incroyable ! - une vraie cuisine, une salle de bain pour eux tout seuls, de vrais canapés, comme une vraie maison !) à plus de $ 6000 par mois... Le père d'Héloïse est expert comptable pour un groupe français, ce bel appartement fait partie des petits "plus" offerts par les boîtes françaises à leurs employés acceptant de s'expatrier de ce côté-ci du rideau de fer. Aurélie nous attendait dans le salon, en pleine discussion avec des jeunes parisiens BCBG mais -semblerait-il- gentils quand même. L'un est ici pour quelques mois, envoyé par sa boîte, l'autre est de passage pour le week-end. Je suis vraiment content de voir ma cousine, c'est la première personne que je connais qui passe par Moscou, elle me donne des nouvelles de la famille, et l’on commence à radoter un peu nos souvenirs de vacances... Comme ça fait du bien ! Elle me fait aussi passer un petit sac Gibert-Jeunesse, un petit cadeau de la part de mon amoureuse, qu'elle voit régulièrement à Paris : une réserve de bouquins pour tenir quelques semaines, et une lettre écrite de sa blanche main ! Voilà qui me fait bien plaisir (à Fab et Fanny aussi, elles savent qu'elles pourront récupérer les livres assez rapidement)... Nous sommes tout de même un certain nombre de Français dans cette pièce, entre onze et vingt-cinq ans, étudiants, expatriés, enfants d'expatriés, touristes de passage ; nous réalisons avec Fab et Fanny qu'il existe une réelle communauté française à Moscou, de nombreux "expats" travaillant pour des entreprises françaises, envoyant leurs enfants dans des établissements scolaires français, chez les scouts, allant le dimanche à l'église française... Ils vivent au rythme français, font leurs courses à Auchan (ils ont une voiture, ils peuvent se risquer à y mettre les pieds)... C'est assez déroutant ! Il semblerait qu'ils ne connaissent pas la même Russie que nous, pour être honnête... Quoi qu'il en soit, Héloïse est une fille adorable, et nous sympathisons également avec Antoine, étudiant dans une école supérieure à Moscou. Il est le seul avec nous à fréquenter une école Russe, il vit comme nous dans une obchégitié, et il est comme nous dérouté par le petit microcosme des Français moscovites. Il nous avoue d'ailleurs ne pas toujours chercher leur compagnie, ce que je pense pouvoir comprendre sans peine : est-ce la peine de partir, si c'est pour recréer à l'identique l'endroit qu'on a quitté ? En tout cas la soirée est très sympathique, le buffet est formidable (de la vraie quiche lorraine, de vrais carambars, et des gâteaux fait maison), mais tout de même, c'est étrange, tous ces Français ! Bien entendu, la plupart des conversations tournent autour de la France, c'est tout de même agréable de comparer nos points de vue sur la Russie avec des gens qui viennent du même pays que nous, mais qui connaissent également une autre Russie, celle d'une autre classe, où l’on paye $ 8000 par mois à un propriétaire qui possède plusieurs passeports (avec différents noms) et porte en permanence un flingue dans son manteau.

Vers minuit, quand la soirée s'est terminée, Fanny, Fab et moi avons embarqué Antoine à Ogui, notre bar préféré de Kitaï-Gorod. Antoine était jusqu'à l'année dernière en école d'ingénieur à Centrale Lyon, spécialisé dans la "balistique de projection de mise en orbite de quelque chose" ce qui signifie en gros qu'il apprend à lancer des fusées et toutes sortes de projectiles hors de notre atmosphère, et au lieu de faire sa dernière année à Lyon, il a décidé de passer deux ans à Moscou, dans la meilleure école de lanceurs de fusées du monde. Comme ça, il sera bientôt diplômé de Centrale, mais possédera également le diplôme russe de lanceur de fusées et satellites qui semble être la référence mondiale. Son école a formé ceux qui ont envoyé Gagarine dans l'espace, qui ont créé le Spoutnik et qui ont placé des missiles à Cuba pendant la guerre froide. Bref, Antoine fera sûrement un jour partie de la fine fleur de l'aérospatiale (j'espère qu'il se destinera plus à lancer des fusées sur Mars qu'à lancer des satellites Nokia ou des Scuds) mais ce n'est pas ça qui l'empêche pour l'instant d'être un étudiant marrant, insouciant voir même légèrement barré dès qu'il se retrouve dans un bar souterrain où l'on joue de la musique à 120 dB... J'apprécie. Nous nous sommes séparés aux alentours de six heures du matin, prenant le métro en direction de nos obchégitiés respectives, après qu'il m'a invité aux championnats de GRS sus-cités.

J'ai revu Aurélie et Héloïse deux fois pendant la semaine où cette parisienne de Bretagne est restée chez nous. La première fois, nous nous sommes retrouvés sur la Place Rouge pour une petite ballade touristique : Basile le Bienheureux, le Goum, la place du Manège, la flamme éternelle du Soldat Inconnu (Paris n'a pas le monopole de ce genre d'attractions), Tvierskaïa, le magasin de l'Elysée, la place Pouchkine... Nous l'avons fait marcher dans les deux sens du terme, de nos bottes les dernières neiges de l'année, prévoyant la durée des trajets en minutes russes (le temps est extensible ici, la faille temporelle que j'avais constatée en début d'année est toujours là)... Si un Russe vous dit "marchez vingt minutes dans cette direction, vous y serez !" comptez une bonne heure. Au moins. Nous avons fini entre Loubianka et Kitai-Gorod, derrière les locaux du KGB dans un Moumou, l'équivalent local du Flunch, on l'on peut sans crever sa bourse se remplir la panse de spécialités du coin. Sur notre chemin, nous avons visité Dietski Mir, le plus grand magasin de jouets dans lequel j'ai jamais mis les pieds. Un vrai rêve de gosse ! Aurélie aura passé la soirée à nous mitrailler avec son appareil photo dernier cri, pour notre plus grand plaisir : Héloïse semble détester poser pour des photos autant que moi ! Enfin, Charline avait fait des commandes, je me suis plié à leur volonté. La seconde fois, je suis passé chez Héloïse pour confier à Aurélie une lettre pour mon amoureuse, et au risque d'arriver en cours en retard, je me suis laissé invité pour le repas. C'est agréable, un véritable repas dans une véritable cuisine, avec des gens qui de surcroît ne sont pas détestables. J'ai dû courir comme un dératé pour arriver à l'heure à mes cours de l'après-midi... L'abondante neige mouillée qui tombait ce jour-là ne m'a pas vraiment facilité la course, fondant sur mes verres de lunettes, réduisant ma visibilité pour me précipiter vers toutes les flaques et tremper mes pieds jusqu'aux genoux (je tiens à préciser que les flaques disposées sournoisement entre la station de métro et l'école ont une taille moyenne trois fois supérieure à celle du lac Léman). Tout ça pour finalement arriver à la bourre, malgré tous mes efforts ! Je lui ai souhaité bon retour avant de la quitter, et aux dernières nouvelles, elle est à Paris et en parfaite santé. A priori, elle a adoré Moscou. Elle doit faire attention, Moscou, plus on y va, plus on y retourne...

J'y suis allé finalement, à cette compétition de GRS, emportant avec moi Alex, Anastasia, Linn, Maya, Lalla, Signe, Sophie, Regina et mes fidèles acolytes, Fanette et Fab. Ça a été un sacré boulot de trouver le gymnase, la billetterie... Mais honnêtement, on commence à être assez habitués à être perdus dans des quartiers lointains sous des tempêtes de neige fondue ! On a retrouvé Antoine, accompagné de Russes et de Français de sa fac ; nous n'étions pas placé au même endroit, et nous sommes partis avant le gala où il est resté. On s'est parlé quelques minutes, pas beaucoup plus... Quoi qu'il en soit, la compétition a été vraiment prenante, et malgré ce que m'avait dit Charline "Mais c'est nul un gala de GRS" nous avons apprécié et contesté les décisions des juges tout le long de la compétition, comme de vrais amateurs de la discipline. Il faut dire que le jury était injuste : parmi les candidates (une Ukrainienne, deux Russes, une Polonaise, une Israélienne et tout plein d'autres du même coin), c'est la même qui a remporté toutes les compétitions. Anastasia, qui s'y connaît en GRS (ses parents sont entraîneurs de l'équipe nationale Grecque de gymnastique) nous l'a affirmé dès le départ : "Vous voyez Kabaiéva là-bas ? À une époque, elle était la meilleure, et même si maintenant elle n'est plus aussi bonne qu'avant, tous les membres du jury vont la surnoter. Normalement, elle devrait remporter toutes les épreuves !" C'est finalement ce qui s'est passé... Ce qui fait qu'à l'issue de chacune des cinq épreuves, nous avons eu droit à la hissée du drapeau russe, et à l'hymne national local (il faut se lever quand on entend l'hymne national russe, sinon les gens vous regardent de travers). Finalement, en quittant le gymnase, on s'est vraiment paumés en cherchant le métro, et pour la première fois, j'ai rencontré un Russe acceptant de perdre trois minutes de son temps précieux pour prendre le temps de nous indiquer le chemin. On a encore bien pataugé, surtout Fab qui avait sorti les chaussures de printemps et qui a fini aussi trempée qu'on peut décemment l'être...

Sinon, on a perdu deux des huit blondes la semaine dernière (pour être honnête, seules six des huit scandinaves sont blondes : une est d'origine asiatique et l'autre s'est teint les cheveux parce qu'elle en avait marre d'être blonde comme tout le monde). Signe et Sophie ont en effet malheureusement été rappelées de force dans leur école à Copenhague pour des raisons qui ne nous paraissaient pas vraiment valables... Cela fait la balance, avec Alex et Anastasia, mes camarades de novembre qui sont revenus il y a deux semaines de ça. Signe et Sophie font des portées acrobatiques ensemble, et c'est vrai que ce n'est pas très évident pour elles, considérant qu'elles sont peu ou prou du même gabarit, et que les Russes ne considèrent les portés que dans le cas "un énorme porteur et une toute petite voltigeuse", et leur technique est réellement inadaptée au cas Sophie et Signe... A priori, cela fait déjà quelques temps qu'elles peinaient, déjà à Copenhague ce n'était pas toujours facile. Il n'était pas question de dissensions entre elles, elles s'entendent comme larronnes en foire, c'était simplement physiquement difficile, et leur travail ne portant quasiment aucun fruit, elle ne prenaient pas de plaisir à bosser ensemble. Ajoutons à cela que Signe a grandi en Amérique du Sud et aimerait bien y retourner un de ces jours, tandis que Sophie se sent très bien à Copenhague... Elles ont demandé à pouvoir changer de spécialité, retravailler chacune de leur côté les choses qu'elles faisaient avant de travailler en duo. Leur école, qui paye les cours, a refusé tous net : elles sont venues ici pour faire des portés, si elles n'en font pas, qu'elles reviennent à la maison ! Ça a été un peu rude, un peu précipité, elles sont parties une semaine seulement après que leurs professeurs au Danemark ont pris leur décision... Personne n'était vraiment d'accord avec cette décision de les rapatrier: comme tous les élèves de deuxième année sont sensés être à l'étranger en ce moment, elle n'auront ni place ni professeurs pour s'entraîner à leur retour. Autant dire qu'elles ne se sont pas trop faites à l'idée de partir... La veille de leur départ, on a bien sur fait une petite fête en leur honneur, pour leur dire qu'elles allaient nous manquer, et qu'on aimerait les garder un peu plus longtemps avec nous... Vers onze heures du soir, je suis sorti prendre l'air, et pour la première fois depuis un certain temps j'ai pu rester dehors dix minutes en portant uniquement un pull ; le printemps s'approche tout de même on dirait. Jeudi, journée de la femme donc jour férié (toutes les occasions sont bonnes pour mettre un jour férié, on a même eu droit à un pont pour cette journée du 8 mars), Signe et Sophie ont fait leurs bagages, pour partir en milieu de soirée ; c'est toujours bizarre ces jours de départ, surtout dans le cas présent, où nous sommes plusieurs qui ne les reverront peut-être jamais. C'est le problème des années à l'étranger, on se fait tellement d'amis qu'on ne recroisera plus après... Enfin, je préfère perdre des bons amis que de ne jamais rencontrer personne. Le soir, on les a accompagnés jusqu'à Dynamo, où le métro devait les mener à Retchnoï Vokzal, d'où partent les bus pour l'aéroport. On s'est mis à plusieurs pour porter les sacs (je me suis bien sur tapé le plus lourd, j'étais le seul mec de la bande), et faire un petit bout de chemin avec elles. Puis on les a embarquées sur l'escalator, après avoir empilé les sacs sur leurs dos et effectué les dernières embrassades... On s'est sentis tout cons en les laissant partir..."Qu'est ce qu'on va faire tous les onze, maintenant qu'on est tout seuls ?" Nous sommes rentrés chez nous, pour nous entasser sur le canapé et regarder "Moulin Rouge", un film qui ne mérite pas vraiment qu'on s'étende à son sujet.

Dernièrement, Fabienne m'a offert un disque pirate en mp3 sur lequel se trouvent l'intégralité des chansons de Joe Dassin (sauf "Si tu t'appelles Mélancolie", ça me déçoit un peu) y compris toutes les traductions de ses chansons en allemand, anglais, espagnol, italien, japonais ! J'écoute le grand Joe en boucle, et la vénération que je commence à porter à ce chanteur sentimental tourne presque à la pathologie... Tous les matins je me réveille en écoutant à plein volume "L'Amérique", "La fleur aux dents" et surtout "Ligne de vie", qui avec ses choeurs de chanteuses anglophones à des allures de "Hair". Enfin bref, j'attribue cet amour pour le larmoyant chanteur à un manque affectif dû à l'éloignement que j'essaye de combler en chantant "Mais combien faut-il de temps pour t'oublier". À noter que je connais maintenant par-coeur le monologue d'introduction de "L'Eté Indien". À part ça, c'est pas pour cafter, mais les amours de Fanny progressent plus rapidement que celles de Fabienne. Pour préserver leur intimité, je ne m'étendrai pas sur ce sujet non plus.

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