TOME 8 : Petites perles de décembre
lettre du 5 décembre 2006
Découvrez Iron & Wine!
Depuis mon arrivée à Moscou, j’ai à plusieurs reprises vécu des instants qui restent imprimés au fond du crâne, des moments simples où non qui font que je ne regrette jamais d’être ici. Des petites perles, qu’on aime bien se raconter, des tempêtes de neige sur une Place Rouge presque vide, des amis joueurs de Jazz qu’on croise au hasard du métro, où des après-midi entiers passés à ne rien faire d’autre que bavarder assis face à une tasse de thé bouillant. Ce mois de décembre qui commence à peine regorge déjà de ces petites perles, nous ne sommes pourtant que le troisième jours du mois ! De manière générale, j’ai toujours préféré décembre à novembre, novembre étant toujours pourri par le temps qui nous rend plus maussade (nous venons d’avoir deux semaines de pluie), décembre portant plus généralement un froid clair et sec (nous avons perdu quelques degrés cette fin de semaine, et le ciel bien que chargé est bien moins noir) bien plus agréable. L’hiver commence à pointer le bout de son nez à nouveau, et j’attends impatiemment l’arrivée des grands froids, même si je la redoute également !
Quoi qu’il en soit, depuis vendredi, ces petites perles s’accumulent de manière agréable. Décembre a commencé par une journée de cours particulièrement remplie mais ou de nombreux déblocages se sont déroulés, des histoires de placement du corps pendant le jonglage, de dynamique des lancers et autres détails techniques tellement minimes mais si importants quand on veut progresser. S’ensuit une presque conversation en russe avec Pacha, un petit jongleur de dix-sept ans, techniquement au-dessus de tout ce que j’ai pu voir auparavant. Pacha (de son vrai nom Pavel, mais ici tous les gens sont appelés par leur diminutif) est un des rares élèves de l’école à parler quelques mots d’anglais, et nous nous comprenons comme nous pouvons : il commence ses phrases en anglais et les finit en russe, et je fais le contraire. Ça y est, je commence enfin à me faire des copains Russes ! Avec Paula, nous l’invitons à nous rejoindre dans la chambre seize dans la soirée, où va se dérouler l’anniversaire surprise d’Anastasia que nous avons organisé avec Lisa et Paula. Nous avons acheté un gâteau et une bouteille de « Champagnskoié », une sorte de vin blanc pétillant et peu onéreux que les autochtones ont tendance à confondre avec le Champagne…
Il faut aussi dire que dans une semaine, Alex et Anastasia vont partir pour la Grèce, et quand ils reviendront, Lisa aura définitivement quitté la Russie… Vers neuf heures du soir, nous entrons dans la chambre d’Alex et Anastasia avec Paula, Lisa et Fabienne qui est passée par là en sortant de la Fac (mon Obchaga se trouve sur le chemin entre l’université et son Obchaga), en chantant « Joyeux Anniversaire » simultanément en Italien, Hollandais, Espagnol et Français. Disons que le résultat est passablement inaudible, mais dans ce genre de cas, l’intention compte plus que le résultat fini, non ? Quelques secondes plus tard, Pacha est entré, une peluche dans une main, un ballon de baudruche dans l’autre, pour les offrir à Anastasia. C’est très russe, et j'adore ça. Gâteau, « Sovietskoïe Champagnskoié », thé à la vodka, les conversations fusent, jusqu’à ce que Fabienne glisse : « C’est incroyable, tout le monde parle dans sa langue et tout le monde se comprend comme si de rien n’était ». Et oui, on commence à s’en sortir, j’ai fini par réaliser qu’avec un peu de concentration un Français est capable de comprendre pas mal de choses en italien et en espagnol ! Enfin, soyons honnêtes, tout le monde ne parle pas sa langue : si Paula parle hollandais, nous pourrions déployer les plus incroyables efforts que nous ne comprendrions rien… Quand, vers minuit, le professeur de porter d’Anastasia et Alex qui vit au dernier étage de l’Obchaga pénètre dans la chambre pleine de bruits et de fumée, nous lui proposons une petite vodka. « Une petite vodka ? Non, merci ! Une grande, oui ! ». Pacha, qui connaît bien ce fringant quinquagénaire (loin au dessus des cent kilos, barbe blanche et catogan, chemise toujours largement ouverte sur sa poitrine aussi velue que bronzée), me dit de faire attention : en voilà un qui force souvent sur la bouteille. Au bout d’une vingtaine de minutes, Paula, Alex et Anastasia suivent l’invité-surprise dans sa chambre, tandis que Pacha et moi restons dans leur chambre, discutons une demi-heure et allons nous coucher.
Le lendemain matin, Lisa et moi partons en quête de CD vierges pour conserver toutes les photos qu’Alex à pris depuis que nous sommes à Moscou. En chemin, Lisa me fait découvrir les halles de Saviolovskaïa, où je trouve – est-ce Dieu possible ? – un fromager vendant de véritables camemberts français. J’en achète un en regardant la vendeuse avec des yeux pleins de reconnaissance : c’est un peu de ma maison, ce fromage. Pour peu, je serais prêt à chanter la Marseillaise au milieu des étals ! En début d’après-midi, Anastasia et Alex prennent un taxi, direction l'aéroport, puis Thessalonique, la ville d’Anastasia où ils doivent jouer pour un festival avant de passer Noël en famille. Les adieux sont chaleureux, voir déchirants avec Lisa : puisqu’elle part avant qu’ils ne reviennent, il se pourrait qu’ils ne se revoient plus. Quoi qu’il se pourrait tout de même qu’ils se recroisent, car le monde des circassiens n’est pas si grand qu’il paraît. Commence alors un après-midi, enfermés dans la chambre de Lisa et Paula, nous buvons encore du thé litre par litre, en écoutant de la vieille musique française. Je leur fais découvrir Bourvil, quand commence une de ses plus belles chansons : « La Tendresse ». Et Paula s’illumine : son père, un professeur de français passionné, ne lui a fait écouter toute son enfance que de la chanson française, et elle se souvient de cette chanson chantée par Marie Laforêt. Nous écoutons cette chanson en boucle, tout en la chantant, et nous décidons d’en écrire les paroles sur son cahier. Nous écoutons la chanson par bribes, et sous ma dictée, elle commence à noter en me disant une fois de plus que son père sera fier d’elle s’il l’entend chanter ça. Une fois de plus, car ce n’est pas la première fois que je lui apprends une chanson française, la dernière fois c’était le canon « Au bruit doux de la pluie, par terre et sur les toits », version musicale du poème préféré de son père, que je lui avais appris, ainsi qu’à Lisa et à Tania et sa sœur. Encore une petite perle… Je suis ici comme à la maison ! Comme je la corrige tous les trois mots, ne laissant passer aucune faute, elle lâche, dans le vrai : « Toi, ça se voit que ton père est instituteur ! Tu as été élevé dans la grammaire et l’orthographe, non ? ». Je dois avouer que la remarque est juste… Ni elle ni moi ne considérons cette remarque comme désobligeante, même si je ne lui révèle pas l’éternel combat qui m’oppose à la concordance des temps et aux accents sur les « a » ! Vers cinq heures, après la tombée de la nuit (le soleil se couche maintenant avant seize heure trente) je la convaincs de partir visiter l’Arbat, une immense rue piétonne où je n’ai encore jamais mis les pieds. Nous y traînons nos savates un bon couple d’heures, refusant d’acheter des Chapkas aux vendeurs ambulants et écoutant les nombreux musiciens de rue qui égayent cette magnifique rue et attirent autant les touristes que les Moscovites. Pour avoir moi même joué pas mal de fois dans la rue, je me demande comment ces types arrivent à jouer de la guitare (sans mitaines) par une telle température ...
Plus tard, nous nous séparons : elle rentre à la maison tandis que je pars chez Fabienne, Juan et Fanny pour une soirée crêpes, où je me rends avec d’autant plus d’empressement que Fabienne s’est procuré un pot de véritable Nutella, si difficile à trouver de ce coté-ci du rideau de fer. À onze heures, il nous faut quitter leur Obchaga qui ferme ses portes, et nous nous dirigeons vers l’Ogui, que Fanny et Juan ne connaissent pas encore. Comme leur Obchaga est fermée toute la nuit, quand ces trois-là sortent le soir, ils n’ont pas d’autre choix que de rester dehors toute la nuit. Telle n’est pas ma motivation, ni celle de Fabienne : si Juan et Fanny ont projeté de passer la nuit en boîte de nuit, Fabienne et moi dormirons chez moi, car si mon Obchaga est sensée être fermée la nuit, le garde ne ferme jamais le samedi soir, et comme il y a un lit de libre de ma chambre… je cacherai Fabienne. Nous arrivons donc à l’Ogui, bar des étrangers et des Russes adeptes d’une culture alternative aux mœurs locales, où se déroule un concert de reggae-punk-je-ne-sais-pas-trop-quoi, en russe bien sûr, et je vois alors mes premiers hippies Russes. « On se croirait en France ! » Après quelques secondes, on se rend bien compte que non, c'est pas comme en France, les gens sont bien trop givrés pour être de chez nous. Mais c'est vrai qu'on ne s'étonnerait qu'a moitié d'entendre parler Français à la table d'à côté.... On ne pensait pas si bien dire, car au bout d’une heure peut-être arrive Marie, une étudiante de Lyon III également en échange ici, accompagnée d’une bande hétéroclite de Québécois, canadiens et autres anglophones. Le concert fini, Juan et Fanny nous quittent tandis que nous prenons nos aises à notre table, discutant de tout et de n’importe quoi, se demandant bien pourquoi nous avons tous voulu revenir ici après y être passé quelques années auparavant… »C’est la Russie », personne n’a vraiment su en dire plus. Quoi qu’il en soit, nous sommes tous venus ici attirés par quelque mystère insondable mais bel et bien présent. Pour comprendre… « Comprendre quoi ? Je sais pas, tout, rien… Ah ouais je vois… ». La bière rend poète, et les discussions deviennent de moins en moins logiques et compréhensibles, les discours ne se tiennent plus vraiment. Une québécoise frôle la mort en insultant copieusement un moscovite des plus patibulaires qui a osé affirmer que le Québec n'est pas un vrai pays. Nous restons jusqu’à une heure avancée de la nuit, puis nous rentrons Fabienne et moi en stoppant un taxi clandestin qui nous fait traverser tout Moscou en vingt minutes, pour un prix avoisinant celui d’un ticket de bus lyonnais. Quand nous arrivons chez moi à quatre heures, la porte est fermée, mais d’autres élèves de mon école attendent déjà l’arrivée du garde, puisque même si tout est fermé, on peut toujours sonner pour entrer. Fabienne qui n’a pas spécialement le droit d’être ici passe avec les quelques élèves que nous sommes en prenant l’air dégagé : comme les gardes se relaient très régulièrement, ils ne sont pas au courant des nouveaux venus, ils laissent donc toujours entrer ceux qui accompagnent des visages connus. Une fois dans ma chambre, je passe à Fabienne une paire de draps et une de mes deux paillasses, qu’elle pose sur le deuxième lit de ma chambre ; bonne nuit ma grande, tu vas découvrir la rigueur des matelas de par chez moi !
Dimanche, nous nous levons vers onze heures, le dos meurtri par ces maudites paillasses et entamons un petit-déjeuner fait de thé noir et de mes nouveaux biscuits préférés (de toute façon on ne trouve pas de Figolu ici, il fallait bien remplacer par quelque chose) en essayant de planifier la suite de la journée. En faisant la vaisselle, je croise Lisa qui nous invite à les accompagner, elle et Paula au marché des artisans, une merveille paraît-il, situé à l’autre bout de Moscou. Nous partons donc, emmitouflés dans nos anoraks en direction du marché « Вeрнисаж », près du métro des partisans. Après avoir passé le premier porche, nous appercevons une grande muraille de bois, une sorte de château sibérien ou je ne sais quoi, extrêmement coloré, en fait de grands remparts protégeant un marché peu commun. A l’intérieur, tous les étals sont en fait de petites datchas, des cabanes toutes différentes les unes des autres, et nous pensons tous alors à Hansel et Gretël et à la maison en pain d’épices de la sorcière, sauf que dans ce cas, la sorcière aurait fondé une ville. Le marché est immense, et on peut y trouver tout l’art populaire russe : jeux d’enfants en bois, matriochkas en veux tu en voilà ! Jeux d’échecs sculptés, icônes et boites peintes côtoient des affiches de propagande soviétique et maints objets pour touristes frappés des armes de l’URSS. Bijoux d’ambre et de bois, instruments de musique, vieux livres russes et DVD américains de contrefaçon, le tout à des prix défiant toute concurrence si l’on joue le jeu du marchand de tapis ! Moi qui me demandais où trouver des cadeaux de Noël voilà qu’à chaque étal je pense « Il me faut ça pour Pierrot, oh, Manon adorerait ! Et ça, ça plairait a Charline, tu crois pas ? ». Je suis content d’être venu avec une bourse vide, car tant de choses me plaisent que je n’aurais pas été à l’abri d’une fièvre acheteuse… Fabienne et Lisa ont quelques sous en poche, argent qui leur file rapidement entre les doigts ! Nous trouvons sans faire exprès la meilleur méthode de marchandage, quand Fabienne trouve un magnifique bracelet d’argent et d’ambre : le bracelet coûte six cents roubles et elle n’a en poche que trois cents roubles, et je retrouve en fouillant bien cent dix roubles au fond d’une des miennes. « Ah flûte, il nous manque presque deux cents roubles ! Oh, c’est tellement dommage, je ne vais pas pouvoir l’acheter… – Bon, donnez ce que vous avez, ça marchera ! ». Bon, la prochaine fois, on jouera le tour de l’étudiant fauché devant chaque vendeur, car quelques tentatives nous font voir que le coup marche à chaque fois. Autre chose : « Nous ne sommes pas des touristes, on est étudiant ici… On peut pas se permettre d’acheter ça ! » En disant ça, j’ai fait passer le prix d’une icône de mille sept cents à quatre cents roubles, face à un vendeur qui ne voulait pas croire que j’étais réellement venu au marché sans un rond. Comme je passe des heures à regarder les icônes, tous les vendeurs croient que je suis acheteur, alors que je suis seulement impressionné par la beauté de ces œuvres ! De toute façon il est interdit de passer la frontière russe avec une réelle icône dans son sac, car celles-ci font partie du patrimoine du pays, et quiconque tente de sortir du pays en possession d’une de ces peintures peut être arrêté pour trafic d’oeuvres d’art ! Je ne prendrai pas ce risque, je ne me sens pas de tâter la paille humide des cachots soviétiques…
Nous restons près de quatre heures sur le marché, trouvant à chaque pas un trésor qu’il nous faut absolument ici, et maintenant ! Une version bilingue du Petit Prince, une matriochka constituée de trente poupées gigognes, un véritable gramophone à manivelle, une vierge à l’enfant en feuilles d’or ou un DVD pirate du dernier Woody Allen qui n’est pas encore sorti au cinéma en Russie ! La température diminue, et même s’il ne gèle pas encore, nos extrémités commencent à se frigorifier, d’autant que j’ai encore oublié mes gants (« imbécile ! »). Alors en luttant comme nous pouvons contre le froid qui engourdit nos doigts et nos orteils (pour le reste ça va, nous avons tous des manteaux qui pourraient nous maintenir en vie au beau milieu de la Sibérie) nous courrons plus ou moins vers le métro. Dans le métro, nous discutons sans interruption, tant et si bien qu’à notre correspondance (sous la place Rouge), après avoir laissé Fabienne partir vers chez elle, nous prenons le métro dans la mauvaise direction. Nous sommes trop occupés par notre conversation pour nous en rendre compte, et la voix annonçant le nom des stations dans le métro est inaudible. Quand nous entendons « correspondance pour la ligne circulaire » nous nous croyons à la gare de Bielorouskaia, tout près de chez nous. Pas de bol, nous sortons dans une autre gare ferroviaire ressemblant à s’y méprendre à celle que nous connaissons, Une fois dehors, nous sommes un peu déboussolés, croyant être sortis du mauvais coté le la gare, et nous commençons à marcher dans ce que nous pensons être la bonne direction. Nous faisons quelques allers-retours, tentons de contourner la gare, mais nous sommes coincés par les rails de chemin de fer. Nous demandons alors notre chemin à des passants, et aucun ne semble pouvoir nous guider vers la perspective Léninegrad, près de laquelle nous vivons. Nous médisons les Russes qui ne veulent jamais indiquer le chemin aux étrangers, jusqu’à ce qu’un passant aimable nous dise de prendre le métro « C’est à l’autre bout de la ville ! –Mais nous ne sommes pas à la gare de Biélorouskaia ? » Le passant s’amuse bien, il voit que nous sommes vraiment paumés, au lieu d’être au nord-ouest de la ville, nous sommes en plein sud-est… Le fou rire nous prend, « Allez, ce coup ci on rentre à la maison ! ». Après un long trajet, nous arrivons enfin à Bielorouskaia, où Lisa nous montre à notre grand étonnement un magasin comme nous ne pensions jamais en trouver : bien caché dans une cour d’immeuble (comme tous les endroits plus ou moins alternatifs de Moscou) nous tombons sur ce que je qualifierais de magasin de Baba-Cools : on peut acheter ici des chemises indiennes, des sculptures africaines, des mantras indhous, des assiettes chinoises, des livres d’astrologie, du tofu, de la nourriture bio, du soja, des bâtons d’encens… On se croirait dans le Vieux-Lyon ! Après que ces dames ont fait leurs achats, nous rentrons enfin à la maison, boire un thé bouillant afin de nous remettre de tout ça, de nous reposer un peu après ce week-end bien rempli… Voilà un mois de décembre qui s’annonce bien !
lettre du 5 décembre 2006
Découvrez Iron & Wine!
Depuis mon arrivée à Moscou, j’ai à plusieurs reprises vécu des instants qui restent imprimés au fond du crâne, des moments simples où non qui font que je ne regrette jamais d’être ici. Des petites perles, qu’on aime bien se raconter, des tempêtes de neige sur une Place Rouge presque vide, des amis joueurs de Jazz qu’on croise au hasard du métro, où des après-midi entiers passés à ne rien faire d’autre que bavarder assis face à une tasse de thé bouillant. Ce mois de décembre qui commence à peine regorge déjà de ces petites perles, nous ne sommes pourtant que le troisième jours du mois ! De manière générale, j’ai toujours préféré décembre à novembre, novembre étant toujours pourri par le temps qui nous rend plus maussade (nous venons d’avoir deux semaines de pluie), décembre portant plus généralement un froid clair et sec (nous avons perdu quelques degrés cette fin de semaine, et le ciel bien que chargé est bien moins noir) bien plus agréable. L’hiver commence à pointer le bout de son nez à nouveau, et j’attends impatiemment l’arrivée des grands froids, même si je la redoute également !
Quoi qu’il en soit, depuis vendredi, ces petites perles s’accumulent de manière agréable. Décembre a commencé par une journée de cours particulièrement remplie mais ou de nombreux déblocages se sont déroulés, des histoires de placement du corps pendant le jonglage, de dynamique des lancers et autres détails techniques tellement minimes mais si importants quand on veut progresser. S’ensuit une presque conversation en russe avec Pacha, un petit jongleur de dix-sept ans, techniquement au-dessus de tout ce que j’ai pu voir auparavant. Pacha (de son vrai nom Pavel, mais ici tous les gens sont appelés par leur diminutif) est un des rares élèves de l’école à parler quelques mots d’anglais, et nous nous comprenons comme nous pouvons : il commence ses phrases en anglais et les finit en russe, et je fais le contraire. Ça y est, je commence enfin à me faire des copains Russes ! Avec Paula, nous l’invitons à nous rejoindre dans la chambre seize dans la soirée, où va se dérouler l’anniversaire surprise d’Anastasia que nous avons organisé avec Lisa et Paula. Nous avons acheté un gâteau et une bouteille de « Champagnskoié », une sorte de vin blanc pétillant et peu onéreux que les autochtones ont tendance à confondre avec le Champagne…
Il faut aussi dire que dans une semaine, Alex et Anastasia vont partir pour la Grèce, et quand ils reviendront, Lisa aura définitivement quitté la Russie… Vers neuf heures du soir, nous entrons dans la chambre d’Alex et Anastasia avec Paula, Lisa et Fabienne qui est passée par là en sortant de la Fac (mon Obchaga se trouve sur le chemin entre l’université et son Obchaga), en chantant « Joyeux Anniversaire » simultanément en Italien, Hollandais, Espagnol et Français. Disons que le résultat est passablement inaudible, mais dans ce genre de cas, l’intention compte plus que le résultat fini, non ? Quelques secondes plus tard, Pacha est entré, une peluche dans une main, un ballon de baudruche dans l’autre, pour les offrir à Anastasia. C’est très russe, et j'adore ça. Gâteau, « Sovietskoïe Champagnskoié », thé à la vodka, les conversations fusent, jusqu’à ce que Fabienne glisse : « C’est incroyable, tout le monde parle dans sa langue et tout le monde se comprend comme si de rien n’était ». Et oui, on commence à s’en sortir, j’ai fini par réaliser qu’avec un peu de concentration un Français est capable de comprendre pas mal de choses en italien et en espagnol ! Enfin, soyons honnêtes, tout le monde ne parle pas sa langue : si Paula parle hollandais, nous pourrions déployer les plus incroyables efforts que nous ne comprendrions rien… Quand, vers minuit, le professeur de porter d’Anastasia et Alex qui vit au dernier étage de l’Obchaga pénètre dans la chambre pleine de bruits et de fumée, nous lui proposons une petite vodka. « Une petite vodka ? Non, merci ! Une grande, oui ! ». Pacha, qui connaît bien ce fringant quinquagénaire (loin au dessus des cent kilos, barbe blanche et catogan, chemise toujours largement ouverte sur sa poitrine aussi velue que bronzée), me dit de faire attention : en voilà un qui force souvent sur la bouteille. Au bout d’une vingtaine de minutes, Paula, Alex et Anastasia suivent l’invité-surprise dans sa chambre, tandis que Pacha et moi restons dans leur chambre, discutons une demi-heure et allons nous coucher.
Le lendemain matin, Lisa et moi partons en quête de CD vierges pour conserver toutes les photos qu’Alex à pris depuis que nous sommes à Moscou. En chemin, Lisa me fait découvrir les halles de Saviolovskaïa, où je trouve – est-ce Dieu possible ? – un fromager vendant de véritables camemberts français. J’en achète un en regardant la vendeuse avec des yeux pleins de reconnaissance : c’est un peu de ma maison, ce fromage. Pour peu, je serais prêt à chanter la Marseillaise au milieu des étals ! En début d’après-midi, Anastasia et Alex prennent un taxi, direction l'aéroport, puis Thessalonique, la ville d’Anastasia où ils doivent jouer pour un festival avant de passer Noël en famille. Les adieux sont chaleureux, voir déchirants avec Lisa : puisqu’elle part avant qu’ils ne reviennent, il se pourrait qu’ils ne se revoient plus. Quoi qu’il se pourrait tout de même qu’ils se recroisent, car le monde des circassiens n’est pas si grand qu’il paraît. Commence alors un après-midi, enfermés dans la chambre de Lisa et Paula, nous buvons encore du thé litre par litre, en écoutant de la vieille musique française. Je leur fais découvrir Bourvil, quand commence une de ses plus belles chansons : « La Tendresse ». Et Paula s’illumine : son père, un professeur de français passionné, ne lui a fait écouter toute son enfance que de la chanson française, et elle se souvient de cette chanson chantée par Marie Laforêt. Nous écoutons cette chanson en boucle, tout en la chantant, et nous décidons d’en écrire les paroles sur son cahier. Nous écoutons la chanson par bribes, et sous ma dictée, elle commence à noter en me disant une fois de plus que son père sera fier d’elle s’il l’entend chanter ça. Une fois de plus, car ce n’est pas la première fois que je lui apprends une chanson française, la dernière fois c’était le canon « Au bruit doux de la pluie, par terre et sur les toits », version musicale du poème préféré de son père, que je lui avais appris, ainsi qu’à Lisa et à Tania et sa sœur. Encore une petite perle… Je suis ici comme à la maison ! Comme je la corrige tous les trois mots, ne laissant passer aucune faute, elle lâche, dans le vrai : « Toi, ça se voit que ton père est instituteur ! Tu as été élevé dans la grammaire et l’orthographe, non ? ». Je dois avouer que la remarque est juste… Ni elle ni moi ne considérons cette remarque comme désobligeante, même si je ne lui révèle pas l’éternel combat qui m’oppose à la concordance des temps et aux accents sur les « a » ! Vers cinq heures, après la tombée de la nuit (le soleil se couche maintenant avant seize heure trente) je la convaincs de partir visiter l’Arbat, une immense rue piétonne où je n’ai encore jamais mis les pieds. Nous y traînons nos savates un bon couple d’heures, refusant d’acheter des Chapkas aux vendeurs ambulants et écoutant les nombreux musiciens de rue qui égayent cette magnifique rue et attirent autant les touristes que les Moscovites. Pour avoir moi même joué pas mal de fois dans la rue, je me demande comment ces types arrivent à jouer de la guitare (sans mitaines) par une telle température ...
Plus tard, nous nous séparons : elle rentre à la maison tandis que je pars chez Fabienne, Juan et Fanny pour une soirée crêpes, où je me rends avec d’autant plus d’empressement que Fabienne s’est procuré un pot de véritable Nutella, si difficile à trouver de ce coté-ci du rideau de fer. À onze heures, il nous faut quitter leur Obchaga qui ferme ses portes, et nous nous dirigeons vers l’Ogui, que Fanny et Juan ne connaissent pas encore. Comme leur Obchaga est fermée toute la nuit, quand ces trois-là sortent le soir, ils n’ont pas d’autre choix que de rester dehors toute la nuit. Telle n’est pas ma motivation, ni celle de Fabienne : si Juan et Fanny ont projeté de passer la nuit en boîte de nuit, Fabienne et moi dormirons chez moi, car si mon Obchaga est sensée être fermée la nuit, le garde ne ferme jamais le samedi soir, et comme il y a un lit de libre de ma chambre… je cacherai Fabienne. Nous arrivons donc à l’Ogui, bar des étrangers et des Russes adeptes d’une culture alternative aux mœurs locales, où se déroule un concert de reggae-punk-je-ne-sais-pas-trop-quoi, en russe bien sûr, et je vois alors mes premiers hippies Russes. « On se croirait en France ! » Après quelques secondes, on se rend bien compte que non, c'est pas comme en France, les gens sont bien trop givrés pour être de chez nous. Mais c'est vrai qu'on ne s'étonnerait qu'a moitié d'entendre parler Français à la table d'à côté.... On ne pensait pas si bien dire, car au bout d’une heure peut-être arrive Marie, une étudiante de Lyon III également en échange ici, accompagnée d’une bande hétéroclite de Québécois, canadiens et autres anglophones. Le concert fini, Juan et Fanny nous quittent tandis que nous prenons nos aises à notre table, discutant de tout et de n’importe quoi, se demandant bien pourquoi nous avons tous voulu revenir ici après y être passé quelques années auparavant… »C’est la Russie », personne n’a vraiment su en dire plus. Quoi qu’il en soit, nous sommes tous venus ici attirés par quelque mystère insondable mais bel et bien présent. Pour comprendre… « Comprendre quoi ? Je sais pas, tout, rien… Ah ouais je vois… ». La bière rend poète, et les discussions deviennent de moins en moins logiques et compréhensibles, les discours ne se tiennent plus vraiment. Une québécoise frôle la mort en insultant copieusement un moscovite des plus patibulaires qui a osé affirmer que le Québec n'est pas un vrai pays. Nous restons jusqu’à une heure avancée de la nuit, puis nous rentrons Fabienne et moi en stoppant un taxi clandestin qui nous fait traverser tout Moscou en vingt minutes, pour un prix avoisinant celui d’un ticket de bus lyonnais. Quand nous arrivons chez moi à quatre heures, la porte est fermée, mais d’autres élèves de mon école attendent déjà l’arrivée du garde, puisque même si tout est fermé, on peut toujours sonner pour entrer. Fabienne qui n’a pas spécialement le droit d’être ici passe avec les quelques élèves que nous sommes en prenant l’air dégagé : comme les gardes se relaient très régulièrement, ils ne sont pas au courant des nouveaux venus, ils laissent donc toujours entrer ceux qui accompagnent des visages connus. Une fois dans ma chambre, je passe à Fabienne une paire de draps et une de mes deux paillasses, qu’elle pose sur le deuxième lit de ma chambre ; bonne nuit ma grande, tu vas découvrir la rigueur des matelas de par chez moi !
Dimanche, nous nous levons vers onze heures, le dos meurtri par ces maudites paillasses et entamons un petit-déjeuner fait de thé noir et de mes nouveaux biscuits préférés (de toute façon on ne trouve pas de Figolu ici, il fallait bien remplacer par quelque chose) en essayant de planifier la suite de la journée. En faisant la vaisselle, je croise Lisa qui nous invite à les accompagner, elle et Paula au marché des artisans, une merveille paraît-il, situé à l’autre bout de Moscou. Nous partons donc, emmitouflés dans nos anoraks en direction du marché « Вeрнисаж », près du métro des partisans. Après avoir passé le premier porche, nous appercevons une grande muraille de bois, une sorte de château sibérien ou je ne sais quoi, extrêmement coloré, en fait de grands remparts protégeant un marché peu commun. A l’intérieur, tous les étals sont en fait de petites datchas, des cabanes toutes différentes les unes des autres, et nous pensons tous alors à Hansel et Gretël et à la maison en pain d’épices de la sorcière, sauf que dans ce cas, la sorcière aurait fondé une ville. Le marché est immense, et on peut y trouver tout l’art populaire russe : jeux d’enfants en bois, matriochkas en veux tu en voilà ! Jeux d’échecs sculptés, icônes et boites peintes côtoient des affiches de propagande soviétique et maints objets pour touristes frappés des armes de l’URSS. Bijoux d’ambre et de bois, instruments de musique, vieux livres russes et DVD américains de contrefaçon, le tout à des prix défiant toute concurrence si l’on joue le jeu du marchand de tapis ! Moi qui me demandais où trouver des cadeaux de Noël voilà qu’à chaque étal je pense « Il me faut ça pour Pierrot, oh, Manon adorerait ! Et ça, ça plairait a Charline, tu crois pas ? ». Je suis content d’être venu avec une bourse vide, car tant de choses me plaisent que je n’aurais pas été à l’abri d’une fièvre acheteuse… Fabienne et Lisa ont quelques sous en poche, argent qui leur file rapidement entre les doigts ! Nous trouvons sans faire exprès la meilleur méthode de marchandage, quand Fabienne trouve un magnifique bracelet d’argent et d’ambre : le bracelet coûte six cents roubles et elle n’a en poche que trois cents roubles, et je retrouve en fouillant bien cent dix roubles au fond d’une des miennes. « Ah flûte, il nous manque presque deux cents roubles ! Oh, c’est tellement dommage, je ne vais pas pouvoir l’acheter… – Bon, donnez ce que vous avez, ça marchera ! ». Bon, la prochaine fois, on jouera le tour de l’étudiant fauché devant chaque vendeur, car quelques tentatives nous font voir que le coup marche à chaque fois. Autre chose : « Nous ne sommes pas des touristes, on est étudiant ici… On peut pas se permettre d’acheter ça ! » En disant ça, j’ai fait passer le prix d’une icône de mille sept cents à quatre cents roubles, face à un vendeur qui ne voulait pas croire que j’étais réellement venu au marché sans un rond. Comme je passe des heures à regarder les icônes, tous les vendeurs croient que je suis acheteur, alors que je suis seulement impressionné par la beauté de ces œuvres ! De toute façon il est interdit de passer la frontière russe avec une réelle icône dans son sac, car celles-ci font partie du patrimoine du pays, et quiconque tente de sortir du pays en possession d’une de ces peintures peut être arrêté pour trafic d’oeuvres d’art ! Je ne prendrai pas ce risque, je ne me sens pas de tâter la paille humide des cachots soviétiques…
Nous restons près de quatre heures sur le marché, trouvant à chaque pas un trésor qu’il nous faut absolument ici, et maintenant ! Une version bilingue du Petit Prince, une matriochka constituée de trente poupées gigognes, un véritable gramophone à manivelle, une vierge à l’enfant en feuilles d’or ou un DVD pirate du dernier Woody Allen qui n’est pas encore sorti au cinéma en Russie ! La température diminue, et même s’il ne gèle pas encore, nos extrémités commencent à se frigorifier, d’autant que j’ai encore oublié mes gants (« imbécile ! »). Alors en luttant comme nous pouvons contre le froid qui engourdit nos doigts et nos orteils (pour le reste ça va, nous avons tous des manteaux qui pourraient nous maintenir en vie au beau milieu de la Sibérie) nous courrons plus ou moins vers le métro. Dans le métro, nous discutons sans interruption, tant et si bien qu’à notre correspondance (sous la place Rouge), après avoir laissé Fabienne partir vers chez elle, nous prenons le métro dans la mauvaise direction. Nous sommes trop occupés par notre conversation pour nous en rendre compte, et la voix annonçant le nom des stations dans le métro est inaudible. Quand nous entendons « correspondance pour la ligne circulaire » nous nous croyons à la gare de Bielorouskaia, tout près de chez nous. Pas de bol, nous sortons dans une autre gare ferroviaire ressemblant à s’y méprendre à celle que nous connaissons, Une fois dehors, nous sommes un peu déboussolés, croyant être sortis du mauvais coté le la gare, et nous commençons à marcher dans ce que nous pensons être la bonne direction. Nous faisons quelques allers-retours, tentons de contourner la gare, mais nous sommes coincés par les rails de chemin de fer. Nous demandons alors notre chemin à des passants, et aucun ne semble pouvoir nous guider vers la perspective Léninegrad, près de laquelle nous vivons. Nous médisons les Russes qui ne veulent jamais indiquer le chemin aux étrangers, jusqu’à ce qu’un passant aimable nous dise de prendre le métro « C’est à l’autre bout de la ville ! –Mais nous ne sommes pas à la gare de Biélorouskaia ? » Le passant s’amuse bien, il voit que nous sommes vraiment paumés, au lieu d’être au nord-ouest de la ville, nous sommes en plein sud-est… Le fou rire nous prend, « Allez, ce coup ci on rentre à la maison ! ». Après un long trajet, nous arrivons enfin à Bielorouskaia, où Lisa nous montre à notre grand étonnement un magasin comme nous ne pensions jamais en trouver : bien caché dans une cour d’immeuble (comme tous les endroits plus ou moins alternatifs de Moscou) nous tombons sur ce que je qualifierais de magasin de Baba-Cools : on peut acheter ici des chemises indiennes, des sculptures africaines, des mantras indhous, des assiettes chinoises, des livres d’astrologie, du tofu, de la nourriture bio, du soja, des bâtons d’encens… On se croirait dans le Vieux-Lyon ! Après que ces dames ont fait leurs achats, nous rentrons enfin à la maison, boire un thé bouillant afin de nous remettre de tout ça, de nous reposer un peu après ce week-end bien rempli… Voilà un mois de décembre qui s’annonce bien !
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